En 1981, Louis Cha est officiellement invité en Chine continentale par le gouvernement communiste. Après un voyage en train avec des membres de sa famille, Cha arrive à Pékin le 18 juillet et il est reçu au Palais de l'Assemblée du Peuple par le chef suprême de la République de Chine lui-même : Deng Xiaoping. Quantité de journalistes assistent à la rencontre. Vêtu en veston cravate, l'apparence distinguée de Cha contraste avec celle décontractée de Deng habillé lui d'une simple chemise à manche courte (note 34).
Deng reconnait d'emblée être un admirateur des romans de Jin Yong. Il dit que comme lui les héros de ses fictions wuxia devaient connaitre de grandes épreuves avant se trouver au sommet. Deng exprime ensuite des regrets pour la persécution du père de Cha exécuté en 1951 et lance un appel à la réconciliation : « Restons unis et laissons le passé derrière nous » (note 35). Au cours de la discussion qui suit, Deng aborde les objectifs qu'il vise : sauvegarder la paix dans le monde, réunir la Chine, développer l'économie chinoise.
En fait, l'agenda de Deng et ce que cela signifie pour la Chine — la fin du maoïsme et l'ouverture au monde — est connu depuis longtemps déjà à travers de nombreuses déclarations politiques. Il en va de même pour les voyages officiels de Deng à Singapour et aux États-Unis. Toutefois avec Cha, Deng s'adresse pour la première fois directement et officiellement à un représentant éminent de Hong-Kong, ce qui envoie un puissant message.
Deng Xiaoping rencontre Lee Kuan Yew premier ministre de la République de Singapour en 1978. |
Deng Xiao Ping aux États-Unis en 1979 |
Celui-ci était d'autant plus significatif que ledit représentant est un critique reconnu du régime communiste et qu'en tant que romancier et d'intellectuel issu de la classe des lettrés il est l'incarnation même de l'ennemi du peuple honni et persécuté sous le régime maoïste ayant régit la Chine jusqu'à il n'y a pas si longtemps.
Deng et Cha se connaissaient indirectement bien avant leur rencontre historique. Dès 1976, Cha avait écrit sur Deng dans un de ses éditoriaux au moment où ce dernier était à nouveau purgé du gouvernement. Cha connaissait les parties pris réformistes de Deng et affirmait que celui-ci devrait et même allait retourner tôt ou tard au centre du pouvoir.
Quant à Deng, comme mentionné plus tôt, il était un admirateur de Cha depuis longtemps. Dès le début des années 70, il avait envoyé des aides se procurer les romans de Jin Yong à Hong Kong et les lisait durant sa pause du midi et avant le coucher pour se relaxer.
Lors de la rencontre, Deng a abordé avec Cha le sujet de la réunification avec Taiwan. Comme les gouvernements de la Chine Communiste et Nationaliste ne se reconnaissaient pas l'un l'autre et n'entretenaient aucun contact direct, Deng a demandé à Cha de servir d'intermédiaire non officiel sachant qu'en tant que commentateur politique non aligné et influent il était un messager idéal.
En septembre 1981, le numéro mensuel du Ming Pao Magazine est entièrement consacré à la couverture de la visite de Louis Cha en Chine, avec ce dernier rédigeant un article sur son voyage et son entrevu avec Deng. Pour Cha, sa rencontre avec le chef suprême de la Chine Communiste et la signification symbolique qu'elle constitue est le plus au point de sa carrière en tant que commentateur politique et est la concrétisation de son vieux rêve d'être diplomate.
Par la suite, Cha continua de supporter les démarches réformistes de Deng dans ses éditoriaux. Cela inquiète certains qui se demandent si Cha est devenu un peu trop conciliant envers le régime communiste. Cha répond que les valeurs du Ming Pao demeurent les mêmes, ce sont les réformes en Chine continentale auquel il apporte maintenant son soutien (note 36).
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