Octobre 2007, Run Run Shaw célèbre son centenaire. Cinq décennies plus tôt, il fonde la Shaw Brothers, le plus vaste et prestigieux studio privé de Hong Kong, mais également de Chine et de toute l'Asie du sud-est. En presque trente années d'activité la Shaw Brothers a produit près de 800 films, créé une centaine de vedettes, employé des dizaines de réalisateurs et contribué au développement de genres cinématographiques populaires tels le mélodrame wenly, l'opérette filmique huangmei diao et le wu xia pian martial. Au coeur de cette vaste entreprise se trouvait le grand studio de Clearwater Bay, le Shaw Movietown, légendaire cité interdite du cinéma hongkongais.
La création de la Shaw Brothers et de sa movietown n'est toutefois que l'aboutissement d'une aventure filmique déjà très longue, commencée en 1925 par les frères de Run Run, benjamin d'une fratrie de quatre membres. En trente années d'activités, ils auront bâti de nombreux studios et établi un vaste réseau de salles de cinéma à travers toute l'Asie du sud, créant un véritable empire, particulièrement remarquable pour sa résilience et son adaptabilité. Les frères Shaw seront parvenus à survivre et prospérer à une époque marquée par une féroce compétitivité commerciale mais également riche en troubles politiques, ces derniers culminant avec la dévastatrice guerre sino-japonaise.
La formidable destinée de Run Run et de son fabuleux studio aura en grande partie éclipsé l'histoire, elle-même remarquable, de ces frères et de leurs propres aventures cinématographiques. La mémoire populaire est ainsi particulièrement inique avec l'aîné Runje, celui-la même qui lança la famille dans l’industrie du cinéma à une époque où celle-ci était à ces balbutiements commerciaux. Des pans entiers de l'histoire des Shaw sont de fait peu connus des occidentaux de par leur ancienneté, leur origine chinoise et la faible quantité de films ayant survécu jusqu’à nous. Le rôle essentiel des frères Shaw, de leurs entreprises et de leur vaste réseau de distribution est pourtant loin d'être négligeable et contribua au développement économique mais également culturel d’un Septième Art naissant en Chine et dans toute l’Asie du Sud-est. L’expérience acquise durant ces trente années de labeur dans le monde du cinéma permit à Run Run de créer son studio de rêve, la Shaw Brothers, avec laquelle il allait écrire parmi les plus belles pages de l’histoire hongkongaise.

D'où l'intérêt de connaître cette partie de la longue histoire des Shaw, sujet que ce dossier propose de faire. Il y sera relaté non seulement l'histoire des Shaw eux-mêmes, de leurs films et leurs sociétés successives mais également le contexte historique dans lequel ils auront évolué afin de bien saisir comment ils auront été influencés par leur époque et comment en contrepartie ils auront agi sur elle et ainsi contribué au développement du cinéma chinois.
Comme l'histoire des frères Shaw couvre plus de trois décennies, ce dossier est divisé en deux parties distinctes. La première, titrée « l 'Age héroïque », va des origines, en 1925, jusqu'au tournant des années cinquante. Elle couvre l'ère tumultueuse du cinéma de Shanghai, la conquête du marché Sud Asiatique, l’arrivée à Hong Kong et la guerre sino-japonaise.
La seconde partie, quant à elle, se penchera sur la relance hongkongaise des frères Shaw au début des années 50, avec la Shaw and Sons et leur unité de production cantonaise.
Avec ce dossier, on apprendra aussi à connaître les deux frères aînés de Run Run, le fondateur Runje Shaw et son successeur moins inspiré Runde Shaw. C'est non seulement l'histoire des frères Shaw qui sera révélée, mais également une partie cruciale de l'histoire du cinéma hongkongais.

Note : Les fondateurs des Studio Shaw sont appelés Shaw, selon l’ancien système de transcription aujourd’hui largement désuet appelé Wade-Gillis, alors que le piyin, le système couramment utilisé, retranscrit plutôt le nom comme Shao. Pour des raisons de familiarité, nous utiliserons le nom Shaw tout au long du dossier. Les frères Shaw sont également connus par leurs surnoms honorifiques malais (Runje, Runde, Runme et Run Run) qui leur ont été donnés vers le tournant des années 30. Pour éviter toute confusion nous utiliserons ces noms à chaque époque, même à celles précédant leurs attributions.
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