C’est en 1955 que Runde décide de lancer les Shaw dans une autre forme de collaboration pan-asiatique en produisant des films avec des studios d’autres pays d’Asie. Mis à part l’ouverture et l’accès à d’autres marchés, Runde Shaw espère que pareille collaboration fera bénéficier son studio de l’expertise cinématographique et des ressources financières de ses partenaires pour produire des films beaucoup plus achevés techniquement, et cela sans faire trop de dépenses lui-même. Certaines pressions exercées sur Runde par sa famille ont probablement aussi joué un rôle dans cette orientation.
Le premier film issu de cette nouvelle forme de partenariat est Princess Yang Kwei Fei/ Yang Gufei, co-produit par un des plus prestigieux studios japonais de l’époque, la Dalei, et mis en scène par un des grands maîtres 7 ème Art alors au sommet de sa gloire, Kenji Mizoguchi. Ce long métrage a été entièrement tourné sur le sol nippon avec des techniciens et des acteurs locaux.
En fait, la contribution chinoise semble s’être limitée au sujet et à un premier jet du scénario écrit par Doe Ching. Il s’agit du premier film en couleurs de Mizoguchi, filmé avec une magnifique palette pastelle et chatoyante. Le film est loin d’être considéré par les critiques de l'époque comme une œuvre marquante de son auteur, mais plutôt envisagé comme un travail de commande qu’ils jugent assez ennuyant. L’impératrice Yang Kwei Fei est pourtant un film d’une grande qualité, plastiquement très beau, d’où se dégage une aura précieuse et mélancolique des plus touchante. Le film s'avère un franc succès au box-office nippon et se place en sixième place du film le plus populaire de 1956.
Extraits de l’Impératrice Yang Kwei Fei de Kenji Mizougoushi, une co-production de la Shaw and Sons avec le studio japonais Daiei. Les rôles principaux sont interprétés par deux vedettes nipponnes renommées : Machikô Kyo et Masayuki Mori
Un mois après la sortie de L’impératrice Yang Kwei Fei, la Shaw and Sons présente un autre film à costumes, Chin Ping Mei. Sa vedette féminine est une actrice japonaise, Yoshiko Yamaguchi, bien connue du cinéma chinois. En effet, née en Manchourie du temps où la province était une colonie japonaise, Yoshiko Yamaguchi parle couramment le mandarin et, entre 1938 et 1945, fait carrière comme actrice dans une série de co-productions sino-japonaises tournées en Chine. La plupart de ces œuvres est en fait destinée à démontrer " l’amitié " entre les deux pays et leur peuple respectif, à une époque où l’Empire du soleil levant ne cherche en fait qu’à conquérir violemment les territoires chinois. Si les véritables origines de Yoshiko Yamagushi sont connues des Japonais, elles sont en revanche dissimulées en Chine où la jeune femme passe pour une actrice locale connue sous le nom de Li Xianglan. Ce subterfuge s’est retourné contre elle lors de la fin de la deuxième Guerre Mondiale lorsqu’elle fut accusée d’être une collaboratrice. Sa véritable nationalité révélée, elle devra continuer sa carrière au Japon. Chin Ping Mei marque, une décennie après son départ, son grand retour dans le cinéma chinois : star japonaise parlant couramment le mandarin, Yoshiko Yamaguchi est en effet un atout de taille pour toute co-production sino-nipponne.
Yoshiko Yamagushi/Li Xianglan du temps de sa première carrière chinoise, entre 1938 et 1945
Le deuxième film Shaw de Yoshiko Yamagushi sera Madame White Snake/ Baishi Zhuan, nouvelle co-production sino-nipponne, mais cette fois-ci avec la grande compagnie japonaise Toho. Comme pour Yang Kwei Fei, il s’agit de l’adaptation d’un célèbre conte folklorique chinois. Mis en scène par Toyoda Shirou, le film bénéficie d’un casting entièrement japonais.
Yoshiko Yamagushi (à droite) entouré du cinéaste Tu Guanqi (à gauche) et de l'actrice Lucilla Yu Ming (au centre)
En 1957, la Shaw and Sons s’associe avec un studio coréen, la South Korea Entertainment Ltd., pour produire le film Love With An Alien / Yiguo Qingyuan , premier long métrage en couleurs de la société. Il s’agit cette fois-ci d’une véritable collaboration pan-asiatique puisque le casting est constitué d’acteurs des deux nations (Lucilla Yu Ming interprète le premier rôle féminin, et Kim Jin Kyu, Coréen, le premier rôle masculin). L’équipe technique réunit également un personnel à la fois chinois, coréen et japonais tandis que trois metteurs en scène de chaque nationalité sont mobilisés pour la réalisation : le Chinois Tu Guangqi, le Coréen Chun Chang-geun et le Japonais Wakashugi Mitsuo. Le directeur de la photographie du film, Tadashi Ishimoto, est également d’origine nipponne. Parce que les films dans lesquels des Japonais sont impliqués sont interdits en Corée, Wakashugi et Ishimoto doivent tout deux utiliser des pseudonymes chinois, respectivement Hua Keyi et He Lanshan, pour dissimuler leurs nationalités. Ces deux artistes sont également sollicités pour travailler sur une autre production du studio, Lady of Mystery /Shenmi Meiren, troisième film Shaw de Yoshiko Yamagushi. Cette dernière apparaît une ultime fois pour les Shaw en 1958 dans Unforgettable Night/ Yi Ye Fengliu .
Tadashi Ishimoto sur le plateau de Love With an Alien.
Photo de groupe de l’équipe de tournage pan asiatique de Love With An Alien.
Affiche de Love with an Alien.
Photo du film : La Chinoise Lucille Yu Ming et le Coréen Kim Jin-kyu en sont les acteurs principaux
Si Love With An Alien est un franc succès en Corée, ce n’est malheureusement pas le cas dans le reste de l’Asie. Le box-office ne semble réagir que fort mollement à ces essais de co-productions. Ce désaveu du public conduit à l’abandon de ce genre de " jumelage cinématographique ". |