Des films comme Running on Karma, Throw Down et Mad Detective ont perturbé beaucoup de critiques, en ont charmé certains ou énervé d'autres. De beaucoup de façons, ces films divisent et forcent les critiques à revoir ce qu'ils attendent des films. Quand les œuvres évoquées plus haut ne s'approchent pas de ce que les critiques attendent d'un film, ils se retrouvent face à un dilemme : soit regarder d'un oeil critique ce qu'ils en attendent et pourquoi, soit balayer ces films troublants d'un revers de la main. Les textes critiques sur ces trois films en particulier sont jonchées des débris de théories filmiques, qui se sont fracassées sur les récifs saillants d'œuvres qui refusent les codes du genre, ou même parfois rejettent les standards habituels de cohérence et de narration.

Il est instructif de se pencher sur deux sondages indépendants des critiques internationales, cherchant à déterminer les films notables sur la période 2000-2009. Le premier sondage fut publié sur http://dgeneratefilms.com (1). 46 professionnels ont dû choisir les dix meilleurs films en langue chinoise de la décennie, 24 d'entre eux étaient chinois et 22 “non-chinois”, représentant une grande variété de catégories professionnelles: 12 professeurs d'université, 11 critiques, 11 réalisateurs, cinq spécialistes, cinq programmeurs de festivals de films ou de la télévision, un monteur, ainsi qu'un dernier professionnel dont la spécialité n'était pas précisée. Six d'entre-eux citent un film de Johnnie To dans leur top 10 de la décennie.

Triangle—Aurelia Dubouloz, spécialiste cinéma
Sparrow--Brian Hu, doctorant.
Breaking News—Huang Weikai, réalisateur
PTU—Shelly Kraicer, critique et programmeur de festivals de film
PTU—Edwin Mak, critique
Exiled—Michael Sicinski, professeur d'université

Ce qui nous donne cinq films différents pour six participants. Si on prend en compte les films cités en mention honorable en plus, les résultats sont les suivants :

Election 1 et 2—Michael Berry, professeur d'université
Election 1 et 2—Edwin Mak, critique
Election—William Phuan, programmeur
PTU—William Phuan, programmeur
The Mission—Bérénice Reynaud, universitaire et programmatrice de festival (techniquement, The Mission est sorti à Hong Kong en 1999, mais ne fut visible en Occident qu'après 2000.)

PTU est donc le film le plus reconnu parmi les critiques, universitaires, réalisateurs et programmeurs sondés par http://dgenerate.com. A cette exception près, le manque de consensus des critiques et professionnels à propos des meilleurs films de To apparaît évident.

Même un critique de films asiatiques aussi éminent que Tony Rains n'a que mépris pour les films de To.

Il est difficile de ne pas voir l'effort concerté pour promouvoir les films de To - effort fourni à l'origine par le festival et l'association des critiques de Hong Kong, puis repris par quelques programmeurs de festivals et critiques occidentaux - comme dérivé de la nostalgie pour l'âge d'or de l'industrie du cinéma hongkongais : To est valorisé comme le seul homme capable de nous ramener au bon vieux temps, au temps où l'industrie de l'île dominait le marché régional et avec une portée internationale, et rayonnait même dans le monde entier (…) les tentatives un peu forcées pour le faire entrer au panthéon des réalisateurs semblent vouées à l'échec (…) Exiled, certainement un de ses meilleurs films, n'est pas un film de gangsters mais un pastiche, d'occasion à tous les niveaux, depuis sa lumière stylisée et ses mouvements de caméras, jusqu'à sa vision de l'aliénation et de la rédemption de tueurs professionnels. S'il n'était pas interprété par de si beaux hommes (…) il ne serait pas du tout distribué au Royaume Uni. (3)

 

The Sparrow, © Milkyway Image (HK) Ltd., Universe Entertainment

Nous pouvons donc constater cette dernière décennie l'intêret croissant pour les films de Johnnie To de la part d'un petit groupe de critiques et universitaires, pour la plupart spécialistes de films asiatiques ou du cinéma de Hong Kong. Bien que Johnnie To fasse désormais partie du décor sur le circuit des festivals internationaux de films, dont les plus prestigieux, il lui reste encore du chemin à parcourir pour être reconnu universellement par les plus grands critiques. S'il y a toutefois un endroit ou il largement gagné sa place et provoqué l'enthousiasme, c'est bien sur la toile parmi les communautés d'internautes cinéphiles amateurs de films asiatiques et hongkongais.