Peut-être s'agit il d'une simple coïncidence, mais Johnnie To, un réalisateur vu tout d'abord comme un spécialiste du film de genre, ne provenant ni d'Hollywood ni d'Europe, obtient la célébrité à l'international et la reconnaissance des plus grands critiques au moment où internet apparaît comme une nouvelle force majeure qui change la façon de concevoir la critique de films. Les communautés de fans ont été les premières à acclamer To comme un réalisateur à suivre. C'est aussi ces communautés qui ont été parmi les premières à utiliser l'internet pour faire circuler les informations et les échanges d'idées (que ce soit à travers des discussions civilisées ou des débats enflammés) à propos de films ou de réalisateurs habituellement ignorés ou marginalisés par la critique institutionnelle.

Au final, ces mêmes critiques, ainsi que les publications traditionnelles commencent à utiliser les différentes possibilités qu'offre l'internet pour répandre plus efficacement leurs points de vue sur les films. Des journaux imprimés ont commencé à diffuser tout ou partie de leur contenu en ligne. Des publications entièrement en ligne apparaissent après 2000, et certaines se forgent véritablement une réputation avec les années. Alors que les premiers blogs consacrés au cinéma proviennent de personnes hors du cercle des journalistes de presse écrite, au fil de la décennie, plusieurs critiques célèbres et importants créent leur propre blog, et même certains membres du milieu universitaire s'y appliquent de manière sérieuse. Internet devient la manière la plus opportune pour diffuser des informations et des opinions sur les films.

La majorité des sources nécessaires pour écrire cet essai proviennent d'internet, et la plupart d'entre-elles s'y trouvent exclusivement. La seule exception à cette migration croissante des infos et des opinions vers la toile est la critique universitaire. La communauté universitaire continue à imprimer des publications et à les considérer comme le moyen le plus important et le plus légitime pour partager des idées. En conséquence, la communauté académique est l'une des plus conservatrices en ce qui concerne l'utilisation d'internet pour diffuser des idées et débattre sur les films. Il est probable que Johnnie To aurait réussi sa percée en Occident même sans l'importance croissante d'internet dans le domaine de la critique cinéma, mais c'est bien la toile qui devint le véhicule principal de sa promotion comme nouveau cinéaste important sur le plan international, opinion qui finira par être consacrée ensuite dans les publications traditionnelles.

On peut définir quatre démarches qui définissent la critique : décrire, analyser, interpréter et évaluer. (1) L'historien américain du cinéma David Bordwell donne trois formats principaux de la critique de film: la critique (review), l'article académique ou livre et l'essai critique. Une critique est une description rapide du film destinée à un large public qui n'a pas vu le film, et qui se définit comme un type de journalisme. Un article académique ou un livre critique présentent des recherches approfondies sur un ou plusieurs films et partent du principe que le lecteur a vu le ou les films en question. L'essai critique, qui se situe entre les deux autres types de critique, est plus long qu'une critique, mais est habituellement plus personnel et exprime plus clairement l'opinion de l'auteur qu'un article académique. (2) Un critique peut écrire n'importe laquelle de ces formes, mais les frontières entre elles ne sont pas complètement rigides. Pour ma part, je parlerai de la critique académique sur Johnnie To dans une section distincte, car elle répond à des critères et des motivations quelque peu différents des critiques et essais.

De nos jours le New York Times comme les Cahiers du Cinéma proposent une édition en ligne, et beaucoup de journaux mettent au moins une partie de leur contenu sur le net avec un accès gratuit. Il y a par ailleurs des magazines et journaux très respectés comme Senses of Cinema qui n'existent que sur le net. Les même critiques qui écrivent dans les journaux imprimés se retrouvent à écrire pour des sites web, la distinction entre blogueurs et critiques sérieux tend même à s'éffacer, puisque des universitaires et des critiques professionnels ont commencé à tenir des blogs. On trouve bien sûr toujours des blogs tenus par des cinéphiles enthousiastes ou des passionnés d'un genre en particulier, mais même ceux-ci tendent à gagner un certain respect dans les cercles de la critique traditionnelle, même si cela se fait un peu à contrecœur.