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L’ascension de Johnnie To
L’Histoire de Johnnie To : To par To 1/2 - Page 12
Infos
Auteur(s) : Marie Jost
Date : 28/2/2011
Type(s) : Analyse
Reflexion
Information
 
 Liens du texte  
Personnes :
Johnnie To Kei Fung
Wai Ka Fai
John Woo
Films :
Breaking News
Fulltime Killer
Help !!!
Heroic Trio
The Longest Nite
Love On A Diet
The Mission
Needing You
Running On Karma
Running Out Of Time
Judo Throw Down
Wu Yen
Studios :
Milkyway Image (HK) Ltd.
One Hundred Years of Film
 
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Page 13 : Les interviews plus développées


Johnnie To à travers ses entretiens se révèle un partenaire actif de la création de « l'Histoire de Johnnie To ». Depuis des années, il a donné un certain nombre d'interviews substantielles, qui font davantage la promotion du réalisateur lui-même que des films pour lequel on l'interroge. Il a, consciemment, établi les grandes lignes de sa propre histoire, comme s'il en écrivait le script. Malgré les nombreux entretiens auxquels il a répondu, Johnnie To a toujours donné une image cohérente et consistante de sa carrière : de son premier contact, alors enfant, avec le cinéma jusqu'à ses années d'apprentissage à la TVB ; de la crise professionnelle de 1995 qui l'amena à fonder la Milkyway Image, jusqu'à l'importance de cette même Milkyway dans l'établissement de son image en tant que réalisateur d'art et d'essai ; et enfin la modeste acceptation de la reconnaissance qu'il a acquise dans les festivals internationaux. L'image que renvoient sa vie professionnelle et ses divers accomplissements se lit comme un véritable script de film, un scénario auquel Johnnie To lui-même s'est étonnamment bien conformé.

Avant de nous lancer dans une analyse détaillée de ses interviews en Occident, il est très instructif de se pencher sur deux interviews traduites en anglais et publiées à Hong Kong au moment précis où il a effectué sa percée en Occident. En l'an 2000, To était déjà un réalisateur acclamé par la critique de Hong Kong. Il fut interviewé lors de deux éditions successives du Hong Kong International Film Festival, et ces interviews ont été publiées dans les catalogues des éditions 1999-2000 et 2000-2001 du festival, sous le titre de Hong Kong Panorama (1). To a été interviewé en 2000, juste après avoir reçu de très bons accueils critiques pour Running Out of Time et The Mission. Il s'agissait par ailleurs d'une année charnière pour To, qui venait de prendre de grosses responsabilités administratives dans une autre maison de production, 100 Years of Film. L'année 2000 était une année de crise pour le cinéma hongkongais, le but avoué de To en rejoignant 100 Years of Film était de réorganiser et restructurer certains aspects de la production, pour remettre l'industrie cinématographique de l'île sur des bases solides. Dans ces interviews, To reconnaît l'antagonisme naturel entre l'art et le commercial, et les tensions qui en découlent, mais il admet aussi que, s'il avait à choisir entre producteur, administrateur et réalisateur, il choisirait la casquette de réalisateur.

 

Sur le tournage d'Election 2

 

Dans cet entretien, To désigne The Mission comme le film pivot de son œuvre. Pour lui, c'est à partir de ce film qu'il est véritablement devenu un metteur en scène. Il décrit sa nouvelle méthode de travail développée spécialement pour ce film, une méthode qu'il compte bien utiliser à l'avenir pour ses films les plus « personnels ». Tout d'abord, il établit l'identité visuelle du film, et c'est seulement ensuite que le scénario intervient. Si la primauté de l'image est bien établie dans l'esprit du cinéaste, c'est aussi le cas de sa dette envers Les Sept Samouraï d'Akira Kurosawa et de son concept de « d'immobilité dans l'action ».

En 2001, To et son co-producteur/co-réalisateur Wai Ka-Fai étaient interviewés pour le Hong Kong International Film Festival de cette année-là. Il est important de noter que les deux hommes sont alors interviewés ensemble, chacun d'entre eux intervenant quand cela leur semble approprié, sur un pied d'égalité. Comme pour les films dans lesquels ils ont collaboré, où ils amènent chacun leur point de vue et différents élements, leur complémentarité et leur harmonie de fonctionnement sautent aux yeux.

Dans cet entretien daté de 2001, les deux réalisateurs sont en mesure de faire le point sur la première année de 100 Years of Film. Wai explique que le cinéma de Hong Kong repose sur le star system, que le public est attiré dans les salles par les têtes d'affiche plus que par le nom du réalisateur. Les deux hommes tombent d'accord pour dire qu'il était nécessaire lors de cette première année de donner une base financière solide à 100 Years of Film, et c'est cette nécessité qui a dicté leurs choix de productions et réalisations. Ainsi Needing You, Help !!! et Wu Yen sont des films très différents des polars sombres habituels de la Milkyway Image. L'objectif de 2001 était le succès au box-office, et à la vue des réussites de ces films, en particulier celle de Needing You, l'objectif est largement atteint. La mission de la Milkyway Image dans la nouvelle réalité du cinéma de Hong Kong est de promouvoir le cinéma de divertissement.

La première interview donnée par Johnnie To en Occident semble être celle de 2001 à Shelly Kracer pour le festival international du film de Toronto, où son dernier film, Fulltime Killer, est projeté lors d'une séance dans la sélection Midnight Madness. Cette interview a été publiée dans le magazine en ligne Senses of Cinema (2). Comme dans celle de 2001 pour le HKIFF, Johnnie To répond conjointement avec Wai Ka-Fai. Kraicer introduit l'entretien par un bref rappel de l'accueil des films de Johnnie To en Occident Heroic Trio et The Mission), ainsi qu'une biographie professionnelle résumant son travail à Hong Kong, replaçant ces deux films dans un contexte plus large. Il ajoute que sa rencontre avec To découle de l'exposition des films de Johnnie To, notamment lors du Subway Cinema Milkyway Image Festival en 2000 et de la rétrospective de sept de ses films Go Johnnie To aux archives du film d'UCLA en collaboration avec la Asian Film Foundation.

To commence l'entretien en rappelant la primauté des enjeux financiers dans l'industrie du film de Hong Kong de l'époque. Wai Ka-Fai ajoute que lui et To font très clairement la distinction entre les films de genre commerciaux et les films personnels qu'ils réalisent.

De ces trois interviews, il ressort que Johnnie To est très conscient des aspects économiques de la réalisation de films, et qu'il cherche à faire des films qui soient des succès financiers, particulièrement lors de ce moment critique de l'histoire de l'industrie filmique hongkongaise. Il veut faire des films purement commerciaux pour soutenir la nouvelle compagnie, 100 Years of Film, créée dans le but de revitaliser cette même industrie. Mais il reconnaît par ailleurs que ses films préférés ne sont pas ceux-ci, mais plutôt ses films plus personnels comme The Mission ou The Longest Nite. Deux de ces trois entretiens sont donnés conjointement avec son co-réalisateur/co-producteur Wai Ka-Fai et montrent une démarche collective dans la façon de faire des films, à l'opposé de l'image de l'auteur-réalisateur prévalente en Occident. Il est intéressant de noter que Wai Ka-Fai fait une distinction entre les films de genre de Hong Kong et les films Milkyway Image, plus personnels. C'est une distinction qui n'est pas forcément partagée par les critiques occidentaux, plutôt enclins à considérer To comme un réalisateur de films de genre.

En 2003, Johnnie To effectue sa percée sur le marché américain. Il est interviewé par Henry Sheehan à Los Angeles dans les locaux de Palm Pictures, le distributeur américain de Fulltime Killer, le premier film de Johnnie To distribué sur le sol américain. Sheehan introduit son interview par une biographie artistique concise de To, se concentrant principalement sur les films de gangsters de la Milkyway Image. Il discute longuement avec To de la scène de fusillade dans le centre commercial de The Mission, et Johnnie To apporte des éclaircissements sur sa méthode de travail, qui contredisent partiellement ses propos sur le sujet lors de l'entretien datant de 2000 (on peut d'ailleurs s'interroger sur le rôle des traducteurs dans tous ces entretiens qui ne sont pas réalisés par des intervieweurs bilingues et sur la façon dont les réponses de To peuvent être altérées). To explique que lorsqu'il conçoit une scène, ce n'est pas l'aspect visuel qui prévaut, mais ce qu'elle exprime. Il parle aussi d'un thème sur lequel il reviendra encore et encore dans les entretiens à venir: en tant que réalisateur, To est constamment à la recherche de nouveauté et il ne veut pas se répéter de film en film.

 

Fulltime Killer, © Milkyway Image (HK) Ltd., Team Work Motion Pictures Ltd.

 

Une autre interview importante de Johnnie To fut réalisée en 2004 par Sean Axmaker pour Greencine (3). L'entretien a lieu au Seattle International Film Festival, pour l'avant-première nord-américaine de PTU. L'interview pour Greencine est l'une des nombreuses données par Johnnie To de son séjour de deux jours à Seattle. En avant-propos, Axmaker replace le travail de To dans le contexte de l'histoire du cinéma de Hong Kong, y compris ses premières oeuvres qui étaient virtuellement inconnues en Occident jusqu'alors. Il ne fait aucun doute qu'Axmaker est un grand connaisseur de la filmographie de To et plus généralement du cinéma de Hong Kong. Il décrit les films de gangsters de To comme « l'évocation la plus forte du code criminel romantique depuis le départ de John Woo pour Hollywood ». L'entretien se concentre particulièrement sur trois des films les plus récents de To prenant comme sujet la police ou les gangsters: Running Out of Time, The Mission et Fulltime Killer. To déclare que les héros de ces trois films peuvent être vus comme des héros romantiques, mais qu'avec PTU, sa dernière oeuvre, il a voulu proposer des personnages plus réalistes, moins parfaits, et qu'il a donc laissé derrière lui le romantisme de ses films précédents.

Il est évident à travers les interviews données entre 2003 et 2004 que To cherche à remodeler son image en Occident. Il n'est plus interrogé conjointement avec Wai Ka-Fai. Il y a peu, voire plus du tout, de discussion à propos de l'économie du cinéma de Hong Kong, de 100 Years of Film, ou encore à propos de la crise économique et artistique du cinéma hongkongais. Il ne parle plus non plus des comédies qu'il a co-réalisées avec Wai Ka-Fai en 2000-2001 et qui furent de gros succès au box-office. Avec Fulltime Killer, puis PTU, To a de nouveau des films à présenter dans la lignée des premiers films de la Milkyway Image tels que Running Out of Time, The Mission ou The Longest Nite, films qui lui avaient valu les faveurs de la critique hongkongaise et attiré l'attention du public occidental autour de l'an 2000. Les films qu'il veut maintenant présenter dans les festivals occidentaux sont du genre « gangster » ou « policier ». Il ne mentionne que du bout des lèvres Needing You, Help!!!, Wu Yen ou les autres comédies formatées pour un succès au box-office que la Milkyway a continué à produire jusqu'en 2004. A partir de ce moment, To essaie autant que possible de parler des films dont il pense qu'ils représentent le mieux son expression personnelle de réalisateur, des films qui trouvent une résonance auprès du public occidental et international, d'une manière que les comédies cantonaises, culturellement plus spécifiques, ne peuvent atteindre.

 

Fulltime Killer, © Milkyway Image (HK) Ltd., Team Work Motion Pictures Ltd.

 

L'interview avec Charles Leary publiée en 2004 dans Off Screen marque un tournant pour Johnnie To (4). L'entretien a lieu à Hong Kong. Il s'agit d'une longue interview, qui comprend aussi non seulement une filmographie complète mais aussi une brève bibliographie des articles publiés en anglais sur Johnnie To et son cinéma. Après une courte biographie professionnelle, Leary commence l'interview. Une fois de plus la discussion se focalise sur les films les plus récents de To, en l'occurrence Fulltime Killer et Love on a Diet. La discussion autour de cette dernière comédie est peut-être due au contexte local de l'interview, car le film n'est sinon jamais mentionné par To dans les interviews qu'il donne à cette époque dans d'autres médias occidentaux. Un point plus significatif pour les futures discussions autour de Johnnie To, Leary présente celui-ci comme un auteur, et appuie ce statut par la publication d'une filmographie et d'une bibliographie. C'est un terme que ni To lui-même, ni personne à Hong Kong, ne lui a encore appliqué, et qui était absent des débats sur le travail de Johnnie To jusqu'alors (Andrew Grossman, dans The Belated auteurysm of Johnie To, semble conclure que le qualificatif n'est pas approprié, au moins jusqu'en 2001, date de publication de l'article) (5). Leary, avec son bagage universitaire, recadre la discussion sur To et le replace dans un discours cinéphilique qui analyse le travail d'un réalisateur de manière spécifique et le juge avec des critères différents de ceux utilisés pour le cinéma strictement commercial.

L'interview majeure suivante de Johnnie To publiée dans une langue occidentale est celle conduite par Stephen Teo en décembre 2004 à Hong Kong, pendant le tournage d' Election. Elle ne fut néanmoins pas trouvable sous forme imprimée avant la publication du livre de Stephen Teo, Director in Action: Johnnie To and the Hong Kong Action film en 2007. Dans l'intervalle compris entre l'entretien donné à Leary et celui de Teo, Johnnie To a réalisé trois oeuvres importantes qui ont intéressé le public occidental : Running on Karma (co-réalisé avec Wai Ka-Fai), Throw Down et Breaking News.

Ces trois films ont été l'objet d'avant-premières dans des festivals internationaux importants, et la côte de To est alors clairement à la hausse en occident. A la différence des intervieweurs occidentaux, Teo interroge To en cantonais sans passer par un interprète, ce qui donne à l'entretien une certaine fluidité, l'impression que les échanges sont spontanés, par opposition à la rigidité qui ressort de la plupart des entretiens effectués en occident. To connaît forcément Teo puisqu'il habitait Hong Kong et écrivait sur son cinéma, en plus d'être associé avec le HKIFF. To offre à Teo une de ses plus longues interviews (29 pages une fois imprimées), qui est de plus particulièrement intéressante sur de nombreux aspects. Toute personne intéressée par Johnnie To et ses films trouvera la lecture attentive de cet entretien profitable.

L'entretien ratisse large, ne se contente pas seulement d'évoquer la carrière professionnelle de Johnnie To, mais aussi ses années de formation avant qu'il ne rejoigne la TVB et soit lié à la production d'oeuvres télevisuelles, avant de passer à la réalisation et la production de films de cinéma. Chaque période de la carrière de Johnnie To est examinée. Plusieurs concepts primordiaux de l'analyse de Teo publiés dans sa monographie sont évoqués dans cet entretien. Quand Teo évoque le « genre », To rejette cette notion qui pour lui n'a pas vraiment de sens, il n'aime pas se ranger lui-même dans cette case, ni que ses films soient catégorisés ainsi. De même quand Teo lui demande s'il se considère comme un « auteur inégal », To n'a pas de réponse toute faite et semble peu enclin à s'étendre sur cette question. Ce dont il veut parler par contre, c'est de la notion de groupe, et de sa vision du groupe comme représentation symbolique de l'humanité (rétrospectivement, ce thème semble très pertinent puisque To était en plein tournage d'Election au moment de l'entretien). To s'exprime aussi sur la création de la Milkyway Image comme moyen pour lui d'avoir un plus grand contrôle créatif sur son oeuvre.

A propos de sa carrière de réalisateur, To admet qu'il n'a pas vraiment de vue d'ensemble sur son cheminement en tant que cinéaste. « Je ne puis pour l'instant déterminer quelle est ma méthode et ma manière de penser. Je dois faire plus de films, et voir plus de films, y compris des classiques… Quel type de réalisateur vais-je devenir? Je me suis fixé une date pour cet objectif. Dans trois ans au pire, j'aurai la réponse. » (6) Finalement, lorsque Teo s'entretient à nouveau avec lui à Melbourne le 6 août 2005 à propos d' Election, il lui demande quelle est à son avis la meilleure scène du film, et To répond simplement: « Je ne sais pas ». Puis il confesse, un peu tristement, que son propre film favori est Throw Down, mais que personne n'en parle. (7)

Lorsque Michael Ingham s'entretient avec To en 2007, il donne au réalisateur l'opportunité de répondre à certaines choses que Stephen Teo avait écrit sur lui dans Director in Action. Cet entretien est en annexe d'une courte monographie sur le film PTU publiée dans la série du New Hong Kong Cinema, aux éditions Hong Kong University Press (8). A l'instar de Teo, Ingham s'entretient avec To dans ses bureaux de la Milkyway Image à Hong Kong, mais requiert les services d'un interprète pour conduire l'entretien et traduire les réponses.

 

PTU de Michael Ingham

 

En plus de nombreuses interrogations ciblées sur PTU, Ingham pose aussi quelques questions plus générales. Il interroge To sur le label « d'auteur inégal » dont Teo l'affuble. To ne répond pas à la question de savoir s'il est un auteur ou pas, mais commente simplement l'assertion de Teo, de manière assez neutre : « …ce qu'il dit est peut-être vrai. » (9) Ingham lui demande ensuite s'il est un réalisateur de films d'action. To répond de manière définitive: PTU n'est pas un film d'action, « … PTU est un film culte assez sombre ». (10) Lorsque l'on lui demande s'il est d'accord avec les critiques qui estiment que l'intrigue et les personnages de son film sont « sous-développés  », et si oui ou non les publics hongkongais ou occidentaux comprennent le film de la même façon, To donne cette réponse intéressante :

…s'ils ne sont pas satisfaits de mon film, où s'ils pensent que le film est un peu léger sur certains points, ils ont peut-être raison, mais ce n'est pas de cela que je souhaite parler. Ce n'est pas mon souci principal, je pense… Quand je travaille sur un film, j'aime à penser que la question n'est pas de savoir si le personnage est beau ou non. Il s'agit plutôt de bien se pencher sur la combinaison des images et des personnages, la vue d'ensemble, l'art de la narration. (11)

Pour finir, lorsque Ingham pose la question à To de l'attrait du cinéma occidental, et demande s'il pense un jour faire des films à Hollywood ou en Europe, le réalisateur lui donne une réponse qui prouve qu'il a réfléchi sérieusement et longuement à cette idée:

Je pense que les films sont la projection symbolique de la culture de ceux qui les font… Il va sans dire que n'importe quel film que vous faîtes en Occident sera différent que ce que vous feriez dans votre propre contexte culturel. Je ne crois pas qu'un tel film toucherait ou serait apprécié comme cela par le public. Même si j'avais la chance de faire un tel film aujourd'hui, il faudrait nécessairement que je fasse un film commercial plutôt que le film que j'aurais vraiment envie de faire… Pour ce genre d'entreprises commerciales, il faut prendre en considération ce que veulent les gens du studio, plutôt que ce que vous voulez, vous. (12)

 

Johnnie To au Festival de Cannes en 2006.
Photo © Frédéric Ambroisine, avec sa permission.

 

En atteignant le statut de réalisateur international remarqué avec l'avant-première d'Election en compétition à Cannes en 2005, Johnnie To donne de plus en plus d'interviews, souvent à des personnes peu familières du cinéma de Hong Kong, et de ses premiers films. On trouve de plus en plus d'interviews de To par des cinéphiles spécialisés et dans des revues plus grand public lorsqu'il fait la promotion de son dernier film à un festival international.

Il y a eu par ailleurs de plus en plus de rétrospectives de ses films dans le monde entier, et là aussi, les interviews ont suivi. La plupart de ces interviews étaient liées à la promotion de films particuliers sur le circuit international. Leur sujet est généralement donc circonscrit à ces films spécifiques qui sont présentés à des publics étrangers, et qui voient To et son travail cinématographique de manière différente. De plus, la plupart de ces interviews se limitent à des questions superficielles, qui trahissent le manque de connaissances du journaliste concernant l'oeuvre de To et de son contexte. Les sujets classiquement abordés dans ces entretiens, souvent brefs, tournent autour du film de genre et de sa mise en scène, ainsi que la question de la notion de To comme réalisateur de films d'auteur, un label que le réalisateur accepte depuis la sélection d'Election à Cannes en 2005. Ce qui est un contraste marquant avec la façon dont To esquivait le sujet dans ses précédentes interviews, notamment celles réalisées dans le contexte de Hong Kong. Nick Dawson, dans un entretien publié dans le numéro de mai de Filmmaker Magazine, pose d'emblée la question à Johnnie To : « Vous considérez-vous comme un auteur ? »

De manière typiquement hongkongaise, To répond à la question sans vraiment y répondre : « Auteur, c'est un bien grand mot. Mais je pense qu'il n'y a rien de plus important que de faire des films qui représentent la personne que vous êtes. » (13)

Dawson aborde ensuite la question du genre.

Dawson : « Voyez-vous le genre comme une aide ou une contrainte ? »

To : « Le cinéma de Hong Kong est basé sur les films de genre… D'une certaine façon le genre aide le public à s'intéresser à nos films. Nous pensons qu'un bon film commercial est constitué de 70% d'application d'une formule classique et de 30% d'idées neuves. Le public apprécie de retrouver des éléments familiers car il aime être diverti, mais dans le même temps il veut être surpris. En tant que réalisateur, je pense qu'il est très difficile de trouver l'équilibre. »

En 2008, l'image d'auteur de Johnnie To en Occident commence à s'imposer dans les médias hongkongais. Edmond Lee intitule son interview de To, pour Time Out Hong Kong, « Johnnie To: The auteur » (Johnnie To : l'auteur)." (14)

Johnnie To apparaît désormais comme un auteur sérieux, même chez lui, ce qui semblait inconcevable quelques années plus tôt. Il est peut-être instructif de considérer la reconnaissance croissante de To en Occident et son statut d'invité régulier des grands festivals internationaux depuis l'an 2000 comme des contributions déterminantes à son nouveau statut local. To accepte maintenant pleinement ce nouveau statut d'auteur, même dans son pays natal. Parlant des différences entre la réception enthousiaste de ses films en Occident et celle d'Hong Kong, Johnnie To remarque : « Dans ces festivals, vous avez droit à des ovations qui peuvent durer plusieurs minutes. » Alors qu'à Hong Kong, le public se rue vers la sortie dès que le générique de fin commence à défiler, ajoute To, avant de se plaindre que les spectateurs de Hong Kong recherchent seulement le plaisir immédiat et facile, comme si un film était un jeu vidéo.

Finalement, To admet qu'il en est à un point de sa carrière où il est plus intéressé par l'art que par les résultats du box-office. « Alors que mon expérience cinématographique progresse, je me rends compte que je m'éloigne des succès au box-office. Puis je me dis, que même si je n'ai pas les plus grands succès, je peux au moins attirer un certain public, et c'est pourquoi le cinéma d'auteur m'attire plus dorénavant. » Il est difficile de savoir si la façon dont To s'identifie à l'image de l'auteur-réalisateur est le résultat de l'évolution à travers le temps de la manière dont son travail est perçu, de celui de l'évolution de sa mise en scène pour se rapprocher du cinéma d'auteur, où de l'augmentation de la visibilité de ses oeuvres dont la réalisation est typique de ce qui caractérise les auteurs dans d'autres pays. Ou encore, peut-être To s'incline-t-il simplement devant le concert de louanges qui cherchent à lui accorder le titre d'auteur, ou peut-être est-ce un mélange de tout cela. Mais on peut dire sans danger que To est actuellement considéré par nombre de critiques, universitaires et de spectateurs dans le monde entier comme un réalisateur international important, et par certains comme un auteur. Le sérieux avec lequel To s'attache dorénavant à sa mise en scène, son appréciation de son nouveau statut sur la scène internationale, les possibilités que cela offre pour son travail et sa réflexion sur sa carrière dans le futur sont examinés avec attention dans deux entretiens majeurs.

notes

(1) “Beyond Running Out of Time & The Mission: Johnnie To Ponders One Hundred Years of Film,” Interview par Li Cheuk-to et Bono Lee, corrigée par Bono Lee, Hong Kong Panorama 1999-2000: The 24th Hong International Film Festival (Lesiure and Cultural Services Department, 2000), 46-50; Shin, “The Driving Force Behind Milkyway Image,” Hong Kong Panorama 2000-2001, 49-53.
(2) Shelly Kraicer, “Interview: Johnnie To and Wai Ka-fai,” Senses of Cinema
(3) Sean Axmaker, “Karma Chameleon: A Talk with Johnnie To,” Green Cine, 19 février 2004,
(4) Charles Leary, “Fulltime Killer—Full Time Cinema: An Interview with Johnnie To,” Off Screen, 30 juin 2004,
(5) Andrew Grossman, “The Belated Auteurism of Johnnie To,” Senses of Cinema no. 12, février-mars 2001.
(6) Teo, Director in Action, 242.
(7) Teo, Director in Action, 248.
(8) Michael Ingham, PTU
(9) Ingham, PTU, 130.
(10) Ingham, PTU, 140.
(11) Ingham, PTU, 140.
(12) Ingham, PTU, 141-142.
(13) Nick Dawson, “Johnnie To, Mad Detective, The Director Interviews, Filmmaker Magazine, Friday, 18 juillet 2008,
(14) Edmund Lee, “Johnnie To: The Auteur,” Time Out Hong Kong, posté le 14 Juillet 2008,

 
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