HONGKONG/ octobre1994

Littéralement du cantonnais : Evil East Poison West.
Ecrit par : Jin Yong "The Eagle Shooting Hero".
Librement adapté et mis en scène par : Wong Kar-wai.
Producteur : Tsai Mu-ho.
Producteur exécutif : Shu Kei.
Photo : Christopher Doyle.
Chorégraphie des combats : Sammo Hung.
Directeur artistique : William Chang Suk-ping.
Montage : William Chang Suk-ping, Kai Kit-wai, Patrick Tam Kar-ming, Kwong Chi-leung.
Musique : Frankie Chan, Roel A. Garcia.

Acteurs : Leslie Cheung Kwok-wing (Ouyang Feng), Tony Leung Kar-fai (Huang Yaoshi), Jacky Cheung Hok-yau (Hong Qi), Brigitte Lin Chin-hsia (Murong Yin, Murong Yang), Tony Leung Chiu-wai ( le chevalier aveugle), Carina Lau Kar-ling, Maggie Cheung Man-yuk, Charlie Young et Li Bai.

Durée : 92 min.

Sortie en France : décembre 1996.

Sortie à HK : 1994, 34ième sur 164 au box office (1°: God of Gamblers Return).
Exploité : 26 jours (du 17/09/94 au 12/10/94).

Recettes : 9,023,583 HK$ (meilleure recette: 52,529,768 HK$).

Prix : Décerné à Chris Doyle à Venise pour la meilleure cinématographie (94), meilleur design de costumes décerné à William Chang aux Festival Film Awards de Hongkong (1994).

Ashes Of Time -AOT- considéré comme une séquelle de Days Of Being Wild, est inspiré librement d'une nouvelle d'arts martiaux contemporaine: " The Eagle Shooting Hero " ou " L'archer valeureux " de Jin Yong écrite en 1958.

Jin Yong (aka Louis Cha),écrivain populaire qui a revisité tous les mythes de la littérature traditionnelle chinoise et dont l'oeuvre inspira le Wu Xia Pian ou film de chevalerie chinoise. Il bénéficie d'une grande notoriété à Hongkong et nombre de ses ouvrages furent adaptés aussi bien sur le petit que sur le grand écran.-

Le début des années 90 marque le grand retour du Kung Fu au cinéma. Les producteurs proposent à Wong Kar-wai de réaliser un Wu Xia Pian. Il accepte naturellement puisque il a toujours été un adorateur de ce genre traditionnel cantonnais.

Son idée de départ est de narrer la vie quotidienne d'un homme dans le désert.

Il puise sa source d'inspiration principalement de la littérature. Pour le fond, AOT est une adaptation tout à fait libre non seulement de Eagle Shooting Hero mais aussi de l'univers des écrits de Jin Yong. Petit à petit il se détache de la nouvelle originelle: il conserve les personnages les plus marquants tels que Ouyang Feng et Huang Yaoshi, il en élimine d'autres, en invente de nouveaux ou intègre ceux d'autres nouvelles. Sa seconde influence est un écrivain traiwanais aussi célèbre que Jin Yong, mais plus moderne encore, Gu Long, qui inspire encore de nombreux réalisateurs de films de Kung Fu. Ensuite, pour la forme, ceux sont les écrivains d'Amérique Latine comme Gabir Garcia Marquez : Chronique D'une Mort Annoncée ) et plus encore, Manuel Puig (Le Baiser De La Femme Araignée) qui l'intriguent beaucoup. Wong Kar-Wai découvre alors qu'il est possible de créer une histoire originale avec une structure narrative morcelée en fragments sans ordre chronologique.

En ce qui concerne les combats (qui fond date dans l'histoire du cinéma local), il s'inspire évidemment de supports visuels tels que le cinéma japonais, les films de Chang Cheh ou de Kung Fu fantastique qui ont bercé sa jeunesse. Il doit trouver son propre style et un montage qui le différentie des nombreux ersatz des ballets aériens de Tsui Hark. La chorégraphie est confiée à Sammo Hung, qui coordonne des combats aux actions exagérées à outrance. Ceux-ci expriment les émotions des personnages. Les temps morts, prenant le pas sur une action filmée la plupart du temps hors champs, ainsi qu'un montage épileptique contribuent à la renommée à travers le monde, de cette redéfinition du genre Wu Xia Pian, tournée à la Sergio Leone.

Il faut choisir un lieu de tournage idéal mais sans dépasser le budget. La solution s'offrant à Wong Kar-Wai est le dessert de la Chine continentale, bénéficiant de décors naturelles somptueux. Il se met donc à la recherche,à travers le pays, des paysages décrits dans les livres chinois dont il s'inspire. Mais en vain. Par le plus grand des hasards, on lui montre des photos de l'endroit où à déménager Leslie Cheung. Il y envoie en repérage son chef artistique et ami, William Chang... Le lieu du tournage est enfin trouvé.

Pour créer l'univers de son film, qui n'est pas un film historique authentique, Wong Kar-Wai ne fait pas de recherches particulières au préalable. Ce monde ne lui est en fait pas inconnu. En effet, grand admirateur du cinéma cantonnais depuis son enfance, il s'est imprégné entre autre des films de Chang Cheh et de King Hu. Sans oublier toute la littérature traditionnelle chinoise dont il s'est abreuvé. Par ailleurs, à HK, les vieux films de Kung Fu sont encore diffusés à la télévision, tard dans la nuit. D'autre part, plus jeune, il écoutait beaucoup de feuilletons de Kung Fu diffusés à la radio. C'est une des raisons, comme la tradition orale, pour laquelle on explique l'utilisation de monologues en voix off. C'est un procédé cher à Wong Kar-Wai, et que l'on retrouve dans tous ses films. Son seul critère pour l'authenticité est de n'inclure aucun élément postérieur à l'époque: la dynastie Soong (douzième siècle). Quant aux dialogues, il n'utilise ni argot, ni vocabulaire contemporain ni même un ancien parlé.

Comme à son habitude, WKW tourne au feeling et il met dans ce troisième long métrage tout ce qu'il sait et ce qu'il pense du cinéma. Il aime connaître les acteurs qu'il dirige et qui l'emmène au travers de sa réalisation et dans sa conception de l'histoire (voir Techniques). Pour incarner le schizophrène Murong Yin/Yang, son choix se porte naturellement sur Brigitte Lin, qui joue habilement sur l'ambiguïté sexuelle comme dans bon nombre de ses précédents rôles. Le choix du chevalier aveugle campé par Tony Leung Chiu-wai est logique, car il est petit, court et a le profil adéquat pour jouer les guerriers anciens très masculins. De nombreux autres acteurs très prisés sont de la partie, tels que Tony Leung Ka-fai, Jacky Cheung, Carina Lau, Maggie Cheung et la jeune Charlie Young pour qui c'est la première collaboration avec WKW.

Bénéficiant d'un budget de 40 millions de Hongkong Dollars et de temps pour réaliser Ashes Of Time, tout ne se déroule pas comme prévu. Wong Kar-Wai doit gérer à lui seul toute l'équipe, plus un super casting dans un environnement plus hostile que les studios climatisés de HK. De plus, il doit jongler avec les emplois du temps de ses stars polyvalentes et touche-à-tout (chanson, concerts, pub, série télé, cinéma, feuilletons radio...). Il se retrouve pris entre deux feux, car il se doit de toucher un large public pour rentrer dans ses frais, mais il se refuse à réaliser un film purement commercial. Il y injecte donc ses propres thèmes et obsessions. Les idées centrales de rejet et de trahison qui s'en détachent, constituent en quelque sorte la ligne directrice de toute son oeuvre.

Wong Kar-Wai prend du retard et dépasse un budget pourtant confortable malgré toutes ses précautions. Finalement deux ans seront nécessaires pour achever cette production quasi homérique, où Wong Kar-Wai essaie d'en dire trop en peu de temps et complique ainsi involontairement le film. En attendant l'équipement utile à la re-synchronisation du son, il marque une pause de deux mois, pendant lesquels il n'a rien à faire. Et, il décide pour passer le temps de réaliser Chungking Express , en suivant son instinct. De ce moment de détente naîtra un chef d'oeuvre.