Ce film pose la question délicate de la définition du genre cinématographique. De loin tout paraît clair. S'il y a des Cow-boys, c'est un western. S'il y a des flics, c'est un polar. Mais si on creuse un peu en se posant la question de la frontière pour des films atypiques, la réponse devient moins évidente. Suffit-il que Ashes Of Time ait l'apparence d'un wu xia pian pour qu'il en soit réellement un ? Si Daniel Lee refuse de rattacher le film au genre, c'est que Wong Kar-wai n'en reprend précisément que la forme.

Le wu xia pian désigne le film de sabre. Cette arme est au centre de l'univers thématique développé par le genre. Il met évidemment en scène la lutte du bien contre le mal. C'est une lutte qui passe par un recours à la violence. Elle donne naissance à des héros, à des codes de l'honneur, et la plupart des intrigues tournent autour d'une histoire de vengeance… C'est en gros ce qui caractérise l'état d'esprit du genre. Or contrairement à des films comme L'Auberge Du Dragon (1992) qui met en scène un valeureux héros, The Blade (1995) qui raconte la vengeance d'un jeune homme ou The Sword (1980) qui montre un sabreur en quête de gloire, Ashes Of Time n'a pas gardé la thématique du genre, Wong Kar-wai ayant pratiquement évacué toute cette dimension de son film.

Il y a bien quelques personnages mythiques comme le sabreur aveugle, il y a bien quelques combats et quelques envies de vengeances, mais tout ceci reste bien accessoire. Comme la forme "wu xia pian" du film, il ne s'agit que d'une toile de fond conçu d'un point de vue avant tout cinéphilique. Wong Kar-wai s'amuse à recréer à coup de citation et de symbole l'univers établi par le genre.

Quant à la thématique du film, elle appartient tout à son auteur. Nous retrouvons des personnages confrontés à la solitude et à l'ennui. Ils veulent aimer, mais souvent ils se trompent. Ils voudraient revenir en arrière, mais le temps ne permet pas de recommencer ce qui a été raté. Le propos même du film n'a pas grand chose à voir avec ce qui se joue dans les wu xia pian traditionnels.

En revanche les liens avec les autres films de Wong Kar-wai sont nombreux. C'est pourquoi l'on peut mettre en doute l'appartenance du film au genre. Le réalisateur ne s'est pas plongé dans le genre, il s'en est emparé en le vidant de son essence première.