HKCinemagic : C’est dommage que le grand public français (et occidental en général) connaisse seulement vos films policiers et vos films de triades. A Hong Kong, vous avez aussi tourné pas mal de comédies, dont certaines sont très bonnes. |
Johnnie To : Eh bien, cette rétrospective à la Cinémathèque Française sera une bonne occasion pour découvrir une autre facette de ma personnalité et de mon œuvre (rires) ! Pour être franc, comme cinéaste, j’ai une certaine idée de la destination de mes films. Quand je fais une comédie de Nouvel An comme The Eighth Happiness, je sais très bien qu’elle n’ira pas dans un festival de cinéma. Je pense que mes comédies sont difficilement exportables. Il y a souvent un contexte social, culturel précis dans mes comédies, qui s’adressent plus à un public local, chinois. Il faut des clés, des explications, au public étranger pour en saisir le propos. Quand on n’a pas ces clés, c’est beaucoup moins drôle. Je pense que les distributeurs occidentaux ont pris en compte ce critère pour délaisser mes comédies… |
Johnnie To, sérieux comme un pape sur le plateau |
HKCinemagic : Vous reconnaissez qu’il y a des « bons » et des « mauvais » films de Johnnie To ? |
Johnnie To : Quand on fait du cinéma, on doit devenir un « filmmaker ». Ce n’est pas grave si on a tourné de mauvais films. L’important est de se rendre compte qu’on a par ailleurs fait des films dont on est fier, qui méritent d’être vus. Si je dois toujours faire plaisir aux autres, je ne suis plus un cinéaste. Certes, je dois offrir au public ce qu’il aime de temps à autre, pour ensuite faire ce que, moi, j’aime. Il faut chercher à atteindre un certain équilibre entre les deux. |
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HKCinemagic : N’est-ce pas tout de même regrettable d’être catalogué comme un auteur de « polars » à l’étranger ? |
Johnnie To : Non, je n’ai pas cette appréhension. Peu importe que je sois catalogué à l’étranger comme « réalisateur de films policiers » aujourd’hui. Car le jour où ce public découvrira un autre film de moi, qui n’aura rien à voir avec ce qu’il connaissait, il saura alors que mon cinéma ne se limite pas aux polars. Il faut du temps pour découvrir un cinéaste. L’important est de donner le temps au public pour qu’il découvre mon œuvre. Prenons Akira Kurosawa par exemple. Tout le monde reconnaît qu’il fut un très grand cinéaste et pas seulement un réalisateur de films de samouraïs. On a oublié qu’il a traversé une période difficile. On a gardé de son œuvre que les bons films. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne faut pas juger un cinéaste sur l’instant. Je ne réussis pas toujours mes films, il y a des échecs. Il faut considérer l’ensemble de ma filmographie pour me juger. Parfois, les circonstances nous poussent à faire ce qu’on n’aime pas faire. |
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Interview avec le pool de journalistes (photo hkcinemagic.com) |
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HKCinemagic : Pourtant, certaines de vos comédies sont vraiment des réussites, qui méritent une plus large diffusion. Nous pensons notamment à Running On Karma, qui n’a eu droit qu’à une discrète sortie en DVD en France. |
Johnnie To : Je comprends que le distributeur français ne l’ait pas sorti au cinéma : la philosophie bouddhiste évoquée dans ce film n’est vraiment pas d’un accès facile pour le grand public français. Les spectateurs auraient eu du mal à en saisir le propos, je pense. Le bouddhisme est très éloigné du contexte culturel occidental. Le film n’aurait sans doute pas marché à votre box-office. |
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HKCinemagic :
Nous pensons que ce film aurait pu attirer un certain public, et pas forcément celui qui connaît bien vos films. Beaucoup de Français s’intéressent au bouddhisme. C’est une religion et une philosophie qui ont de plus en plus d’adeptes en Occident… Vous-même, êtes-vous un bouddhiste fervent ? |
Johnnie To : J’aime la doctrine du bouddhisme, même si je ne suis pas un vrai pratiquant. La notion du Karma, celle des causes et des conséquences, m’a toujours intéressé. Chacun de nos actes produit des effets. Notre vie est peut-être le résultat de ce que nous avons fait dans une vie antérieure. Tout être humain doit avoir conscience de cela dans tout ce qu’il fait. Nous vivons dans une succession de cycles, nous sommes pris dans le tourbillon de nos existences [ndlr : la notion du Samsara ?]. Mais en même temps, nous ne devons pas rester là, à observer. Nous devons gérer notre devenir ; ce qui compte, c’est l’instant présent. L’important n’est pas le passé et ce qu’on aurait fait, mais le présent et le futur. Nous devons maîtriser notre destin, et non pas le subir ; la vie n’aurait pas beaucoup de sens sinon. Il faut essayer de briser le cercle, de quitter ce tourbillon des existences [ndlr : l’aspiration à l’Eveil ?]. |
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HKCinemagic : Et si vous deviez choisir une religion ? |
Johnnie To : Si je devais choisir une religion, je choisirais le taoïsme. Sa doctrine me plaît.
En même temps, je pense que toutes les religions du monde ont leur raison d’être. |
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HKCinemagic : On dit souvent que vous faites les comédies pour pouvoir financer les projets plus ambitieux et personnels. |
Johnnie To : Ce n’est pas faux. Il faut savoir que la MilkyWay Image est une société qui emploie du monde. On a tous besoin de manger, de vivre… |
Lam Suet dans PTU
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HKCinemagic : Il y a beaucoup d’humour dans votre œuvre, même dans les films les plus violents. Pour vous, réaliser, c’est divertir et vous amuser ? |
Johnnie To : Faire des films doit être une partie de plaisir. On peut voir dans mes films beaucoup d’humour noir ou absurde. Les rôles de Lam Suet par exemple révèlent bien cet aspect de mon œuvre. Pour moi, le cinéma et la vie sont étroitement liés. Tout être humain n’est jamais totalement bon ou totalement méchant. Il y a toujours une part de lui-même qui lui échappe. C’est cette ignorance de lui-même qui est intéressante. J’ai toujours ce regard qu’on peut qualifier d’innocent ou de naïf sur la vie. Ce serait vraiment très triste si je le perdais un jour, car alors je ne pourrais plus faire de films... |