Lau Kar Leung a été entrainé en Hung Kuen depuis l'enfance et travaillait dans le cinéma depuis le début des années 50 d'abord comme cascadeur/acteur puis chorégraphe avec Tong Gaai. Dans sa jeunesse il avait participé à quelques films de la série des Wong Fei Hung, dans lequel son père Lau Charn tenait un rôle récurent, et depuis 1967 lui et Tong étaient les chorégraphes attitrés de Chang Cheh l'un des deux plus grands cinéastes martiaux de l'époque (avec King Hu). Lorsque le cinéma kung-fu moderne apparaît avec Chinese Boxer, le spectacle martial y est rempli de toutes sortes de trucages, d'artifices et d'acrobaties. Mais Lau réussit très vite à influencer Chang vers une représentation plus réaliste des arts martiaux comme dans Duel of Fists qui met en scène des matchs de kickboxing thaïlandais. Créer des films au kung-fu plus authentique non seulement au niveau de la chorégraphie mais dans l'histoire et même la philosophie est une grande ambition de Lau Kar Leung et c'est lui qui suggéra à Chang Cheh de faire des films basés sur les héros de Shaolin et leurs arts martiaux. Il est plus que probable que l'idée d'un court métrage de taos martiaux soit aussi de lui.
Filmer des prestations de taos n'est pas évident. Parfois parce qu'on en fait pas assez en se contentant seulement de filmer platement l'expert faire sa démonstration résultant en un spectacle sans saveur et ennuyant. Parfois parce qu'on en fait trop (montage hyper rapide, prise de vue stylisé, mouvements de caméra rapides, effets spéciaux) résultant en un spectacle clinquant et embrouillé.
Dans Trois Voies du Poing de Hung par contre l'usage de plan-séquences y est dynamisé par un langage filmique articulé et souvent subtile, réglé par un superbe sens du mouvements, du rythme de même que par une connaissance concrète et profonde des arts martiaux. Il en résulte un étonnant ballet martial non seulement dynamique et imagé mais aussi éminemment didactique.
Ainsi durant la présentation de Alexander Fu Sheng lui et la caméra se rapprochent souvent l'un de l'autre pour qu'un geste ou une technique de mains soit présenté en plan rapproché. La caméra se pointe vers le bas pour montrer le jeu de jambes et les positions basses un élément crucial mais sous-estimé de la pratique martiale. Les acteurs s'immobilisent souvent entre deux enchaînements et les prestations sont aussi ponctués par de nombreux arrêts sur images à des moments clés pour mettre en évidence un geste, ou un poing en particulier qui sont alors aussitôt identifié par une voix-off de même que des idéogrammes apparaissant à l'écran.
L'ingénieuse habilité de Lau Kar Leung est si grande que non seulement il parvient à montrer des détails techniques pertinent il communique aussi par de pur moyen filmique l'essence profonde du tao démontré. Dans le segment de Chen Kuan Tai par exemple en alternant des plans d'ensemble (souvent en contre-plongée) avec des plan moyens d'un Chen stoïque en train d'accomplir son tao le corps tendu, les jambes inclinées, avec une gestuelle saccadée et en gardant la caméra immobile en tout temps il suggère la force brute de la technique du Tigre. Par contre en filmant en plans généraux et moyens la prestation mouvementée et expressive de Fu Sheng il met l'emphase sur le caractère svelte et rapide de la techniques du tigre-grue.
Une autre astuce de Lau Kar Leung va même au-delà du simple didactisme. Le seul élément décoratif de tout le court métrage est un gigantesque idéogramme chinois en forme de I tracé au sol sur lequel Chen Kuan Tai se déplace pour accomplir son tao du tigre. L'idéogramme reproduit est en fait le premier caractère du nom chinois du tao en train d'être exécuté par Chen. De cette manière Lau créé des liens (hélas imperceptibles aux non initiés) entre la pratique des arts martiaux et la culture, l'art et l'éthique chinoise.
En authentique maître martial, Lau Kar Leung cherchait à faire plus qu'un simple spectacle spectaculaire avec ses prestations de taos, il voulait tout autant sinon davantage instruire sur la vraie nature du kung-fu. Il y réussit admirablement bien et Trois Voies du Poing de Hung constitue autant une leçon d'art martiaux que de cinéma.
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