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Critiques Express

The Postmodern Life of My Aunt    (2006)
Parmi tous les réalisateurs issus de la Nouvelle Vague hongkongaise, Ann Hui est sans doute celle qui a su le mieux conserver son regard critique sur l’évolution de la société chinoise. Cinéaste de conviction, respectée par ses pairs, elle souffre néanmoins d’un manque de reconnaissance à l’étranger. Ceux qui apprécient son travail savent pourtant que chacun de ses films, qu’il soit réussi ou pas, est toujours une passionnante plongée dans la société chinoise d’hier ou d’aujourd’hui. The Postmodern Life of My Aunt ne déroge pas à cette règle.

Derrière ce titre un peu grandiloquent se cache une comédie sociale, narrée sur un ton acide et légèrement moqueur, mais qui n’exclut pas la tendresse. Le récit a pour cadre la ville de Shanghai. Composé de trois parties, il se focalise sur la petite vie de ladite tante (Siqin Gaowa). Nous voyons, entre deux visites de son neveu (Guan Wenshuo), comment une femme chinoise a tenté de s’émanciper et comment elle a échoué. Le film passe ainsi progressivement de la légèreté à un constat beaucoup plus amer.

La première partie du film, avec la première visite du neveu, est sans doute la moins intéressante sur le plan du récit. Elle brosse le portrait de la tante et de quelques autres personnages d’un quartier populaire de Shanghai. Des situations vaguement comiques et rocambolesques se succèdent. La tante y apparaît comme une femme modeste, bienveillante, appréciant la culture classique, menant une vie bien ordonnée, mais un peu déboussolée par la solitude – sa seule amie est une voisine qui semble partager son sort (Lisa Lu). Sans enjeu particulier, sinon celui de planter le décor, cette partie introductive permet à Ann Hui de promener son regard sur les petites gens. Elle nous montre un quartier et un mode de vie que les promoteurs immobiliers vont bientôt faire disparaître. La cinéaste réussit à souligner avec discrétion quelques problèmes sociaux de la Chine actuelle, liés aussi bien à la mutation économique qu’à l’individualisme grandissant : la présence de sans-abris, les logements vétustes, la précarité économique, l’absence des parents, la solitude dans les grandes villes, le sort des personnes âgées, l’esprit civique, etc. A l’image de l’existence de la tante, il se dégage de cette première partie du film un doux parfum d’ennui, mais aussi une impression d’assister à la fin d’une époque.

L’apparition de monsieur Pan joué par Chow Yun Fat nous plonge au cœur du récit. C’est la partie la plus drôle et la plus stimulante du film. Nous assistons à un spectacle de séduction et de mensonges assez pitoyable. La rencontre des deux personnages a lieu dans un parc, de manière féerique. C’est le chant de Pan qui a attiré l’attention de la tante, elle aussi amatrice d’opéra. A ce chant initial va succéder une roucoulade ponctuée de fausses notes. Son baratin sur l’amour de la poésie, de l’art et de la beauté, sa suavité excessive et sa façon de raconter sa vie de garçon sensible au premier venu (avec un accent cantonais en plus !) : le spectateur a vite deviné que ce M. Pan est louche. Bien que méfiante, la tante se laisse tout de même séduire par cet homme au charme vieillot. Trop naïve et trop sensible, elle voit sans doute en lui la dernière occasion de concrétiser un rêve : vivre avec quelqu’un qui partagerait les mêmes passions qu’elle, qui saurait comme elle apprécier les arts et cultiver le raffinement - même si on doit mener une existence modeste. Nous voyons depuis le début qu’il manquait un élément essentiel dans la vie de la tante : un homme. Sa longue solitude est son ennemi intime, qui lui fait perdre peu à peu le sens des réalités. Ann Hui montre si bien ce mélange d’incrédulité et de trouble qui envahit la pauvre femme. Nous avons ici une fausse illustration du vieil adage qui dit que l’amour rend aveugle. La tante voit bien les défauts de cet homme, elle devine même qu’il ment, mais elle préfère vivre dans l’illusion amoureuse ; son monde intérieur est certainement trop riche et trop beau pour qu’elle daigne reprendre pied dans le réel. Plus il en rajoute, plus elle est captivée, comme on peut être fasciné par le spectacle du faux et de l’imposture lorsqu’on a une sensibilité d’artiste. L’épisode avec la pauvre femme (Shi Ke) rencontrée dans une gargote et qu’elle finit par embaucher (alors qu’elle-même a besoin de travailler !) est à la fois un avertissement et une révélation sur la personnalité de la tante : elle est victime de sa bonté, mais c’est aussi quelqu’un qui ne supporte pas la vulgarité, la laideur de la réalité, et qui manque un peu de discernement.
Nous sommes ravis par ce spectacle d’un chat qui se délecte d’une petite souris. Le jeu des contrastes entre les deux comédiens contribue à cette réussite : Chow Yun Fat si frêle et pourtant si cynique, Siqin Gaowa d’apparence si forte mais qui cache une âme de midinette. Il faut voir Chow Yun Fat jouer avec tant d’autodérision ce personnage truculent et impudent ! Il nous rappelle par son jeu parfois excessif les beaux jours de la comédie hongkongaise des années 1980. Nous pensons par exemple à Diary of a Big Man, quand il poussait la chansonnette – ici, il se contente de massacrer avec élégance un air d’opéra. Il sait aussi, à d’autres moments, incarner avec légèreté et allégresse ce personnage de minable escroc tueur de chat. Comme la tante, nous sommes amusés, nous sommes charmés, alors que c’est quand même un type peu recommandable. Et c’est avec un certain regret que nous le laissons disparaître du récit. De son côté, Siqin Gaowa nous montre dans cet épisode toute l’étendue de son art. Elle incarne avec naturel et conviction cette femme qui s’observe sombrer petit à petit dans une débâcle amoureuse pathétique. Surprise, curiosité, trouble, gêne, doute, ridicule, bonheur, crédulité, espérance, dépit, désillusion, maladie, etc. : cette excellente comédienne sait faire passer toutes sortes d’émotions avec son visage et les mouvements de son corps. En contrepoint d’un Chow Yun Fat qui fait dans l’excès, la nonchalance et la séduction, Siqin Gaowa a su déployer avec subtilité une riche palette de jeu. Elle fait partie de cette race d’acteurs qui ne sont pas préoccupés par leur image à l’écran, se consacrant tout entier au rôle lorsque celui-ci le mérite. L’étrange désaccord physique et psychologique des deux personnages donne lieu à quelques séquences d’une grande beauté, comme lorsqu’ils se retrouvent après leur première rencontre ou lorsqu’ils s’amusent à jouer Adieu ma concubine. Enfin, il ne faut pas rater ce plan qui montre la moue tranquille de Chow Yun Fat devant le désarroi de Siqin Gaowa : c’est un surprenant moment de comédie dramatique.
Aidée par le script, Ann Hui prouve ici qu’elle sait faire rire, ce qu’on ne lui connaissait guère. Cette lente et inéluctable chute de la tante est contée avec simplicité et précision. Le regard de la cinéaste est à la fois cruel, moqueur et compréhensif. Comme expérience de cinéma, c’est une étrange sensation que de rire et d’avoir pitié en même temps. Cette partie du film est une illustration de la corruption des rapports entre les êtres dans la Chine moderne. Dans cette société où il n’y a plus beaucoup d’idéaux, la cupidité, le cynisme ou encore l’égoïsme règnent en maîtres. Bien sûr, ces mauvaises conduites devaient exister sous d’autres cieux en d’autres époques, mais elles sont particulièrement frappantes dans un pays où l’évolution socio-économique rend vulnérables celles et ceux qui croient encore aux discours officiels et aux rêves, celles et ceux qui ont un cœur peut-être trop pur.

La chute (littérale !) de la tante nous transporte dans la dernière partie du film. Soudainement vieillie et affaiblie par les épreuves, la tante est cruellement ramenée à la réalité et à son passé, d’abord par la venue de sa fille (Vicky Zhao Wei), puis par son retour dans sa ville natale. Des lumières de Shanghai, nous arrivons alors dans le froid et la grisaille du Nord-Est. Nous avons aussi troqué le rire sarcastique pour l’amertume. Des trois parties du film, celle-ci est sans doute la plus émouvante. Nous découvrons un autre pan de la personnalité de la tante à travers les reproches et les blessures de sa fille – Vicky Zhao Wei nous livre là une brève mais excellente performance d’actrice. Nous comprenons alors que la tante avait fui sa mauvaise condition pour tenter de bâtir la vie dont elle avait rêvé. Son geste a provoqué quelques dommages sans doute irréparables. Cette découverte nous oblige à repenser au début du film – un procédé qu’Ann Hui avait utilisé avec efficacité sur Visible Secret. Nous saisissons à présent le comportement de la tante tout au long du récit. Nous sommes alors de nouveau envahis par une étrange sensation : être profondément ému par un acte qui peut paraître immoral, car nous comprenons les motivations de celle qui l’a commis.
Cette partie du film est une très intéressante réflexion sur la condition de la femme dans la société chinoise d’aujourd’hui. Ann Hui nous montre un pays où les femmes ont encore de grandes difficultés à s’émanciper, surtout pour celles qui ont le malheur d’être nées pauvres. Une idée assez implacable parcourt le film : en Chine (comme ailleurs ?), les femmes ne peuvent se libérer des chaînes qui les entravent que lorsqu’elles réussissent à conquérir une véritable autonomie financière. Une idée contiguë est que, pour y parvenir, elles doivent aussi oublier certains de leurs rêves, voire même sacrifier ce qui a justement motivé leur désir d’émancipation ! C’est en ignorant cela que la tante a échoué dans sa tentative de mener une existence bercée par les arts et adoucie par la culture. Le retour à sa condition initiale est montré de manière particulièrement cruelle : pauvreté, saleté, exiguïté, mépris et disharmonie familiale rythment désormais ses jours. Le sort réservé à la tante dans le récit peut sans doute susciter quelque désapprobation de la part de certains spectateurs (et de certaines féministes), mais reconnaissons aux auteurs le courage d’avoir choisi de nous montrer une conclusion certes très pessimiste mais beaucoup plus en phase avec la réalité, plutôt qu’un happy end qui n’existerait qu’au cinéma. Sans démonstration ostentatoire, Ann Hui nous a évoqué la condition de nombre de femmes en Chine, loin de l’imagerie officielle. Un mince espoir réside dans le fait que le drame de la tante est vu à travers les yeux de son neveu – qui lui rend de nouveau visite – qui commence à comprendre la vie. Une merveilleuse idée (inspirée d’un poème de Su Dongbo) dans le film traduit cet état d’esprit : la clarté lunaire qui transmet les pensées. L’éveil à la compassion du jeune garçon contribuera t-il à améliorer la situation à l’avenir ?

Le film est adapté d’un roman éponyme de Yan Yan, mais étrangement nous avons l’impression que chacune de ses parties évoque un autre film de Ann Hui : le séjour du neveu au début fait penser à My American Grandson (1991), l’idylle entre la tante et M. Pan pourrait être une parodie de Love In A Fallen City (1984) et le contexte de la dernière partie rappelle celui de The Day The Sun Turned Cold (1995) – film réalisé certes par Yim Ho mais produit par Ann Hui ; c’était alors sa première collaboration avec Siqin Gaowa. L’adaptation a été confiée au jeune et talentueux Li Qiang. Nous ne savons pas si cette adaptation a été fidèle au roman, mais nous retrouvons l’humanité dont Li a fait preuve dans son splendide travail sur Peacock (2004) de Gu Changwei. Tout juste pouvons-nous lui reprocher d’avoir un peu trop appuyé sur le symbolisme, avec les animaux notamment.
La construction du film peut donner une impression de déséquilibre entre les différentes parties, accentué par l’apparition temporaire de quelques vedettes. Certains personnages auraient mérité un traitement plus approfondi, faute de quoi ils ont tendance à parasiter le récit. Le seul regret vient du relatif échec des auteurs du film à accrocher le point de vue du spectateur à celui du jeune neveu – le titre du film l’incitait pourtant. Ce personnage a été bien négligé pendant tout le film, du coup son retour sur le devant de la scène vers la fin du récit a manqué d’impact.
Le film a été entièrement tourné en Chine. Ce n’est pas la première fois qu’Ann Hui travaille dans ce pays, mais de film en film, son regard sur la société chinoise s’est affiné. C’est, à notre connaissance, la première fois qu’elle a filmé la Chine contemporaine sans se cacher totalement derrière un genre cinématographique. Les passages comiques du film restent toujours collés à la réalité sociale. Nous n’avons plus l’impression que c’est une Hongkongaise qui filme la Chine, mais une Chinoise à part entière.
Nous devrions voir The Postmodern Life of My Aunt deux fois pour mieux saisir son propos. Le mélange de comédie et de drame peut déconcerter lorsque nous regardons le film pour la première fois, surtout qu’il n’est pas dénué de quelques longueurs. Mais lorsque l’on prend la peine de le revoir, le film nous révèle une dimension humaine beaucoup plus complexe qu’il n’en a l’air. Ann Hui fait partie de ces très rares cinéastes qui font confiance à l’intelligence et au cœur du spectateur. Nous pouvons ne pas être en total accord avec ce qu’elle essaie de nous dire, mais force est de reconnaître qu’elle nous respecte en nous proposant un dialogue à travers ses films. Son style épuré, sans esbroufe, techniquement sans reproches, mais que certains pourront confondre avec lenteur et ennui, participe sans doute à cette démarche artistique. Dans l’œuvre d’Ann Hui, les difficultés que rencontrent ses personnages trouvent toujours un écho chez le spectateur. Avec son dernier film, elle a su nous montrer, une nouvelle fois, que chaque être humain dans sa nuit recherche la lumière.
Van-Thuan LY 5/2/2007 - haut

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 5/2/2007 Van-Thuan L...

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