Déçu par l’attitude des maisons de production, Tsui Hark n’a pas d’autre choix que de créer sa propre société. Il saute le pas en 1984, lorsqu’il fonde la Film Workshop, un studio qu’il envisageait au départ comme une sorte de laboratoire qui devait donner aux réalisateurs les moyens de mener à bien leurs projets personnels. Avec la Film Workshop, la carrière de Tsui Hark prend une fois encore un nouveau tournant. Après l’attitude iconoclaste des débuts, puis le passage dans le tout commercial, le réalisateur devient une sorte de contrebandier, jouant sur les attentes du public pour mieux le mener là où il veut l’emmener (Once Upon A Time In China), tentant les coups les plus audacieux (The Blade) ou revenant à un cinéma commercial (Tri Star), selon les nécessités de la conjoncture. Mais surtout la Workshop permettra à Tsui Hark de concrétiser le projet qu'il avait commencé à mettre en place avec Zu. La plupart des productions Workshop chercheront en effet à remettre au goût du jour les divers aspects de la culture chinoise dans le but de faire du cinéma de Hong Kong une réponse locale et compétitive au cinéma américain. Tsui Hark aura lui-même le parcours d'un véritable encyclopédiste, revisitant les grands genres, les grands thèmes et les grandes figures de cette culture.
Pendant une dizaine d'année le pari s'avèrera payant. Même si ses collaborateurs ont souvent souffert du comportement despotique du réalisateur devenu également producteur, Tsui Hark a réussi à donner un nouveau souffle à l’industrie locale en relançant le polar avec A Better Tomorrow en 1986, le film en costumes avec Histoires de fantômes chinois en 1987, le film de sabre avec Swordsman en 1990 et le film de kung fu avec Once Upon A Time In China en 1991.
Pour ce faire, il a habilement utilisé les meilleurs réalisateurs, acteurs et techniciens de la colonie, créant même la Cinefex, une société d’effets spéciaux, dans le but d’améliorer au maximum la qualité de ses productions. Tsui Hark est ainsi parvenu à plusieurs reprise à imprimer son style à la production locale (La troisième du monde quand même), le succès des films de la Workshop attirant l’appétit des autres maisons de production en mal d’inspiration.
Dans cette conjoncture, la Film Workshop est devenue une sorte de phare où les artistes locaux les plus marquants ont débuté ou ont donné le meilleur d’eux même. Les plus grands cinéastes de la colonie comme John Woo, Ching Siu-tung, Yuen Woo-ping, Kirk Wong, Ringo Lam y ont souvent signé (parfois avec l’aide du maître) leurs meilleurs films. Des techniciens s’y sont fait un nom, comme l’excellent monteur David Wu. Quant aux acteurs, bon nombre d’entre eux s’y sont révélés comme Chow Yun-fat, Leslie Cheung ou Zhao Wen-zhou. Et d’autres y ont vu leur carrière relancée comme ce fut le cas pour Jet Li ou Brigitte Lin. Même Jackie Chan s’est frotté au système mis en place par Tsui Hark, tant la formule semblait irrésistible au début des années 90.
Pendant toute cette période, Tsui Hark a alterné réalisations et productions en intervenant très régulièrement sur les films des réalisateurs qui travaillaient pour lui. Et il faut bien reconnaître que cette stratégie autoritaire s’est souvent avérée payante. Même si le succès n’a pas toujours été au rendez-vous et si de nombreux collaborateurs ont quitté la société à cause du caractère tyrannique de son patron, les films " workshop " possèdent presque tous un style et une personnalité qui les place au-dessus du reste de la production hong kongaise.
Après la frénésie du début des années 90, une grave crise s’est abattue sur le cinéma de Hong Kong. Concurrencé par le cinéma américain, victime des Triades, du piratage et de la crise écomique de 1997, il a vu chuter d’une façon alarmante le taux de fréquentation des salles. La Film Workshop dont les activités s’étaient recentrées sur les réalisations de Tsui Hark depuis 1994, n’est pas épargnée par cette crise. Le réalisateur a pourtant bien tenté d'utiliser sa formule en allant explorer de nouveaux aspects de la culture chinoise avec un retour au film de sabre (The Blade) ou de relancer le film d'animation chinois (A Chinese Ghost Story, The Animated Movie). Mais le public n'a pas suivi. Sans doute parce que Tsui Hark s'est fait aussi plus radical au fil du temps en utilisant un langage cinématographique plus complexe et en intégrant une dimension philosophique plus présente dans son propos. Moins commercial, il doit en plus faire face à une population hongkongaise de plus en plus influencée par les cultures étrangères.
Après une rapide tentative à Hollywood où le cinéaste n'a pu se résoudre à se plier aux exigences du cinéma mondialisé, Tsui Hark est revenu à Hong Kong. Face à une industrie locale qui n'a trouvé le salut que dans son éternel star system et la comédie dramatique, le terrain le moins concurrencé par Hollywood, il persiste dans sa démarche. Time And Tide (2000), Master Q 2001 (2001) et la Légende de Zu (2001), continue à explorer la culture chinoise sous toutes ses formes en utilisant les techniques les plus modernes. Mais le public local reste peu intéressé.
De moteur de la production hongkongaise, Tsui Hark est passé au rang de marginal. Ses échecs commerciaux, son refus de se plier aux règles du cinéma mondialisé ont rendu sa position bien précaire. La qualité de ses derniers films montrent pourtant que l'homme a encore des choses à dire. Espérons qu'il continuera à trouver les moyens de les exprimer.