Le Festival Fantasia et la Cinémathèque Québécoise ont tenu un hommage parallèle à celui qui fut pendant longtemps considéré comme l’enfant terrible du cinéma britannique : Ken Russell. Cinéaste au style flamboyant avec un goût marqué pour une imagerie violemment érotique, morbide, religieuse et même burlesque, l’œuvre extravagante de Russell fut l’une des plus controversée des années 70. Cela lui a valu une carrière en dents de scie et d’être constamment décrié par la critique comme un " appaling talent " : un talent épouvantable.
Russell a versé dans l’adaptation littéraire (Women in Love, Devils, Altered States, Salome Last’s Dance, Whore), de même que dans la comédie musicale (The Boys Friend) et l’opéra rock (Tommy). Toutefois son genre de prédilection fut la biographie d’artistes, surtout de musiciens romantiques (The Music Lovers, Malher, Savage Messiah, Gothic). Employant sa maestria baroque et un dédain presque total pour une quelconque notion de révérence ou de réalisme, tant psychologique qu’historique, Russell fut le créateur de fresques délirantes mettant en relief comme jamais avant lui tant le génie des artistes que leurs aspirations, leurs tourments intérieurs et même leur compromission morale.
La cinémathèque a organisé une mini-rétrospective de son œuvre de même qu’une galerie de ses photos, Russell s’étant fait d’abord un nom comme photographe avant d’être un cinéaste. Les organisateurs de Fantasia ont quant à eux présenté son œuvre la plus extrême et controversée : The Devils. Russell est venu en personne introduire ses films et recevoir un prix de récompensant l'ensemble de sa carrière.
J’ai moi-même découvert le cinéma de Ken Russell à la fin des années 80 et bien que je l’aie perdu de vue au fil des années et que je considère comme un cinéaste aux qualités inégales, je le trouve également assez fascinant et magnifique pour aller le redécouvrir avec la rétrospective, écrire dessus et inviter d’autres amateurs de cinéma à découvrir son œuvre.
The Devils ****
The Devils a fait salle comble lors de sa présentation, ce qui est formidable, considérant qu’il s’agit d’un film vieux de presque quarante ans, assez peu connu de nos jours hormis d’un cercle restreint de cinéphiles et d’amateurs de cinéma dit culte. Il faut dire que Devils est non seulement un film extrême mais aussi rare et n’ayant jamais bénéficié d’une sortie DVD dans sa version intégrale. Malheureusement, la version présentée au festival était un brin censurée et en format vidéo, mais c’était la seule copie autorisée en Amérique par les studios Warner Brothers, producteurs du film.
Le film est l’adaptation d’une œuvre d’Aldous Huxley inspiré du cas des Diables de Loudun qui est survenu sous le règne de Louis XIII et qui a vu le prêtre Urbain Grandier condamné au bucher pour avoir envouté un couvent de religieuses possédées par le diable. Si Russell reprend la thèse d’Huxley que Grandier fut condamné plus pour des raisons politiques que religieuses, le traitement qu’il donne au sujet est l’incarnation même d’un cinéma aussi halluciné qu’hallucinant avec une imagerie de tortures, de dépravations, de pestilence et d’hystérie collective d’une férocité inouïe, le tout présenté dans une mise en scène et une direction artistique on ne peut plus baroque. On ne visionne pas tant The Devils qu’on l’expérimente ou même qu’on le subit.
Malgré le caractère scabreux et outrancier du film, on ne perd jamais le fil de son message : celui d’une défiance envers les puissants prêts à tous les abus pour arriver à leurs fins en manipulant la peur et la religion. C'est un thème encore d’actualité de nos jours comme l’ont souligné les organisateurs du Festival venus introduire le film. Devils a fait scandale à l’époque et s’est fait vu interdit ou charcuté d’un endroit à l’autre. C’est un des grands films cultes des années 70, mais comme je l’ai souligné qui n’a pas encore eu droit a une version intégrale en DVD, un cas de censure assez paradoxale considérant le sujet de l’œuvre.
Pour moi et les autres spectateurs, cette présentation du film était d’autant plus spéciale que Ken Russell lui-même était dans la salle visionnant son œuvre avec une foule enthousiaste autour de lui, voyant à nouveau son acteur favori, l’impérial et savoureux Oliver Reed sur grand écran dix ans après sa mort. Qu’est ce qu’il pouvait donc penser ? De quoi se souvenait-il ?
Avant la présentation du film, on a remis un prix hommage au cinéaste. Une fois le film passé, il a gentiment remercié la salle d’avoir apprécier son film. Le succès fut tel que quelques jours plus tard le film avait droit à un deuxième visionnage.
Rétrospective Ken Russell à la Cinémathèque Québécoise.
Ken Russell a réalisé 16 long-métrages pour le cinéma, la Cinémathèque Québécoise en a présenté 10 et j’en ai vu cinq :
Women in Love
Women in Love (1969) est la première œuvre marquante de Ken Russell au cinéma, une adaptation du roman de l’écrivain britannique D.H Lawrence (auteur de l’Amant de Lady Chatterley). Le film a fait date pour son approche fraîche et provocatrice de la sensualité et des relations amoureuses entre hommes et femmes et même entre hommes. La scène la plus fameuse du film est celle de la lutte nue entre les deux protagonistes du film (joué par Oliver Reed et Alan Bates) dans un salon illuminé par un foyer embrasé, une scène aussi célèbre pour son audace homo-érotique que pour sa superbe beauté esthétique.
Le film contient de nombreuses autres séquences exceptionnelles mettant bien en valeur le style flamboyant de Russell. Ce dernier ayant autant cherché à créer de belles images que de mettre en valeur la philosophie "libératrice" de D.W Lawrence représentée par le personnage d’Alan Bates. Ceci dit, c’est le personnage ténébreux et tourmenté d’Oliver Reed qui m’a le plus captivé, un bourgeois misanthrope en mal d’amour. L’une des femmes amoureuses du film est l’actrice Glenda Jackson qui a remporté un Oscar pour son rôle. Elle est probablement la première actrice ayant montré ses seins dans un film à avoir gagné cette reconnaissance.
Music Lovers
Avec Music Lovers (1970), Russell donne sa pleine mesure dans cette biographie romancée du musicien russe Tchaïkovski prenant la forme d’une tragi-comédie flamboyante et outrancière que Russell a décrit lui-même comme l’histoire d’amour entre un homosexuel tourmenté et une nymphomane.
De l’amour et de la révérence, il n’y en a guère en fait dans ce film (le compositeur y apparaît presque comme un bouffon effarouché et pathétique). La musique de Tchaïkovski est superbement mise en valeur grâce aux arrangements d'André Prévin et l’imagerie de Russell conçue pour illustrer métaphoriquement tant les aspirations que les tourments du compositeur justement célèbre (et longtemps contesté) pour avoir mis en musique ses états d’âme comme jamais personne avant lui. Détail intéressant : Tchaïkovski était incarné par Richard Chamberlain lui-même gay dans la vraie vie mais qui a fait son coming out que trente ans après la sortie du film. De tous les films de Russell vus dans la rétrospective, c’est celui que j’ai le plus savouré.
Salome’s Last Dance
J’ai raté plusieurs films de la rétrospective couvrant les années 70 et 80. Toutefois, grâce à la vidéo, j’ai pu voir le film manqué que je désirais le plus voir : Salome’s Last Dance. Ici Russell a astucieusement combiné ses deux genres de prédilection : la biographie flamboyante et l’adaptation littéraire. En 1895, l’auteur Oscar Wilde assiste à une présentation privée de sa pièce Salomé considérée comme si sulfureuse qu’elle est interdite en Angleterre. Comme la représentation se déroule dans un bordel et est joué par des proxénètes, des prostituées et leurs clients, cela permet à Russell d’hyper-sexualiser l’ambiance de Salomé et de lui donner une dimension burlesque et kitch que Wilde lui-même n’aurait probablement jamais imaginé. Le format de la pièce dans le film permet de nombreux apartés hors scène décapants mettant en relief le personnage de Wilde, un homosexuel à l'humour caustique.
Le partie pris outrancier déployé dans le film n’empêche pas de nombreuses séquences quasi envoutantes portées tant par les dialogues poétiques de la pièce originale que la trame musicale consistant en des morceaux de musiciens romantiques comme Debussy, Rimsky-Korsakov et Grieg. Les acteurs et les personnages qu’ils incarnent sont également mémorables. C’est Imogen Millais Scott qui remporte la palme dans le rôle titre et qui s’avère tout à fait pétillante tant dans l’effronterie de son personnage de petite princesse capricieuse que dans ses longues tirades d’amour/haine envers Jean le Baptiste. Face à des vétérans comme Glenda Jackson et Stratford Jones (qui incarnent le couple infernal Hérode-Hérodiade), elle est d’une remarquable présence et expressivité. Ce fut hélas pratiquement son seul rôle au cinéma, de graves ennuis de santé ayant compromis très tôt sa carrière. Petit bijou de kitch envoutant, Salome’s Last Dance n’est hélas pas très connu hors du cercle des inities du cinéma de Russell, ce qui est vraiment dommage.
Lair of the white worm
Lair of the White Worm (1988) est l’adaptation très libre d’un roman mineur de Bram Stoker, auteur de Dracula. L’adoratrice d’un culte païen déguisé en lady anglaise veux offrir des sacrifices humains à son dieu, un gigantesque serpent vivant sous terre, mais elle se retrouve confrontée par un archéologue écossais armé d’une cornemuse et d’un jeune lord flegmatique. Lair of the White Worm est un pastiche mélangeant l’horreur, l’humour noir, un brin de burlesque et l’imagerie aussi flamboyante qu’outrancière propre a Russell (comme cette séquence d’hallucination digne des Devils où le Christ est dévoré sur sa croix par un serpent géant, tandis que des nonnes sont violées par des soldats romains!).
C’est l’un des premiers rôles de Hugh Grant, incarnant déjà ce qui sera son personnage de prédilection de jeune premier flegmatique un tant soit peu ahuri. Toutefois, c’est surtout l’actrice Amanda Donohoe qui fait fort impression dans son rôle de prêtresse impie et reptilienne. Ignorer à sa sortie dans les années 80, Lair of the White Worm a depuis acquis un statut de nanar culte tout comme Gothic l’autre œuvre " d’horreur " de Russell réalisé plus tôt dans les années 80.
The Rainbow
The Rainbow (1990) marque le retour de Russell à D.W Lawrence vingt ans après Women in Love, dont il s’agit en quelque sorte d’un prequel (Rainbow et Woman in love étant à l’origine un dyptique avec les mêmes personnages). Ce film bucolique relate les amours et la maturité d’une des deux héroïnes de Woman, son amitié avec sa professeure saphique contestataire, puis sa liaison avec son premier amoureux, un jeune officier.
Très belle et très sympathique œuvrette, le charme du film provient de la jeune Sammi Davis et de la bisexuelle frondeuse jouée par Amanda Donohoe. De nombreux habitués du cinéma de Ken Russell font également leur apparition dans de petits rôles incluant : Glenda Jackson incarnant la propre mère de son personnage dans Women In Love.
The Billion Dollar Brain
Le dernier film que j’ai vu à la rétrospective est paradoxalement le plus vieux de Russell. Sa deuxième œuvre pour le grand écran, un film d’espionnage intitulé The Billion Dollar Brain réalisé pour le compte de Harry Saltzman, producteur des James Bond. Le film était le troisième épisode d’une série mettant en scène l’agent Harry Palmer (après The IPCRESS Files et Funeral in Berlin). Alors que l’agent 007 était un homme d’action viril, les films centrés sur Harry Palmer (incarné par Michael Caine) le dépeignait comme un binoclard velléitaire balancé dans des intrigues qui le dépassent. Dans The Billion Dollar Brain, il se trouve mêlé à un complot antisoviétique dans lequel un millionnaire texan fanatique utilise un ordinateur pour planifier une invasion des pays baltiques. Pour un film d’espionnage de la guerre froide, on ne fait pas plus pharamineux.
Engagé comme simple metteur en scène exécutant à une époque où Russell n’avait pas encore fait sa marque au cinéma, Billion Dollar Brain est le film le plus impersonnel de la rétrospective bien qu’il ne soit pas sans une certaine originalité tant dans son récit d’espionnage à contre-courant que dans son style très pop-art tant dans les décors que dans la mise en scène. Pour le dénouement, Russell a pu créer un morceau de bravoure mémorable inspiré de la célèbre bataille des glaces du classique russe Alexander Nevski. Billion est également le dernier film de l’actrice Françoise Dorléac avant sa mort tragique en 1967, portrait presque craché de sa sœur cadette Catherine Deneuve.
Ken Russell était présent à la plupart des projections. Lors de ses dernières journées à Montréal, j’ai pu remettre à son épouse un exemplaire du catalogue du festival Fantasia, de même que des copies d’articles sur son époux lors de son passage à Montréal. Elle a aussi pris quelques photos de moi avec Russell et d’autre amis et fans présents lors des projections.
Ken Russel et compagnie (photo de Lisy Russell)
Ken Russell Photographe
Bien avant de faire carrière au cinéma Ken Russell s’était lancé dans la photographie au début des années 50. D’abord centré sur le quotidien et les modes de l’époque, la gamme de ces sujets évolua pour prendre une tournure plus fantaisiste et burlesque. Son travail de photographe lui ouvrit les portes pour une carrière à la télévision où il fit son apprentissage du médium filmique.
Des décennies plus tard, on a sorti les photos des archives et elles sont devenues le sujet d’une exposition témoignage de leurs temps mais aussi les premiers balbutiements d’un créateur d’images de talent. L’exposition à été installée dans le lobby de la Cinémathèque.
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