Après s’être fait un nom dans le cinéma cantonais des années 50, Bruce Lee partit de la colonie Britannique pour s’installer aux USA. Là, il perfectionna ses compétences martiales, rencontra sa femme et tenta de faire carrière à Hollywood. Face aux nombreux obstacles qu’il rencontra dans l’industrie du cinéma et de la télévision Américaine, il finit par repartir à Hong Kong et, après avoir été en tractation avec les deux studios majeurs de la colonie, rejoint les rangs de la jeune Golden Harvest.
En 1971, le retour du fils prodigue au pays se fait avec The Big Boss. Le film est confié à Lo Wei, considéré comme un des tops talents du studio et produit conformément aux standards du moment du studio (tournage en Thaïlande destiné à réduire les coûts). The Big Boss est un film au croisement de deux époques. D’un coté, on a Lo Wei, un metteur en scène qui a commencé sa carrière derrière la caméra en 1953. Héritier de cette époque, il poursuit dans la même voie via une mise en scène spartiate et des thèmes de lutte des classes (l’exploitation des ouvriers par le méchant patron). De l’autre, on a Bruce Lee. Bien qu’il ait commencé sa carrière dans l’industrie autour de la même période que Lo, l’acteur martial est nettement plus jeune, obsédé par sa philosophie des arts martiaux et sa vie aux USA. Les deux hommes ont également de gros égos. Lo, le traditionnel, et Bruce, l’iconoclaste, ne pouvaient que s’opposer. Mais après avoir quitté l’industrie pendant plus de 10 ans et en dépit de son apparent succès aux USA (sa participation à la série TV Le Frelon Vert a fait beaucoup parler de lui, en dépit de son rôle secondaire et des autres échecs qu’il a connus outre Pacifique), Lee n’a pas la puissance nécessaire pour imposer ses idées au metteur en scène et son chorégraphe (Han Ying Chieh, lui aussi représentant de la vieille école de l’action). The Big Boss est donc avant tout un film de Lo Wei. Le petit Dragon sait toutefois utiliser son charisme naturel et son incontestable habileté martiale pour ramener le film à sa personne. Et c’est bien sa présence, sa fluidité dans l’action qui impressionnent, bien plus que le scénario (écrit par Lo) ou la mise en scène.
Le film est un énorme triomphe, engrangeant plus de 3 millions de dollars HK de recette dans la colonie. Il entérine le statut de super star de Bruce Lee ainsi que la place proéminente des acteurs sur les actrices et l’attraction sur le public du Kung Fu sur le grand écran. Deux tendances nouvelles qui avaient été amorcées par d’autres « rebelles » : Chang Cheh et Jimmy Wang Yu.
Logiquement, le duo Lo/Lee fut reformé pour un deuxième film. Fist of Fury est donc à nouveau une œuvre bicéphale. Les thèmes nationalistes, le choix du lieu de l’action (Shanghai) rappelle un cinéma d’une autre Chine et d’une autre époque. Mais malgré leur coté daté, Lo Wei, en vieux routier de l’industrie sait qu’ils sont toujours de nature à séduire le public Chinois. Ce nationalisme deviendra d’ailleurs une partie intégrante de l’image du petit Dragon, repris abondamment dans les films de Brucexploitation qui suivront sa mort. Lee lui-même n’hésitera pas à en jouer en fonction du public visé.
Grâce au succès de The Big Boss, Bruce Lee put imposer davantage ses idées sur ce second film. L’acteur était particulièrement critique envers le cinéma hongkongais, aussi bien celui du passé (qu’il avait connu de l’intérieur) que son contemporain. Lee appelait à davantage de subtilité chez les acteurs et les scénarios ainsi qu’à plus de réalisme dans l’action. A revoir Fist of Fury, on sent bien une timide tentative dans cette direction. La présence de séquences comiques participe de cette dynamique tout comme le combat contre Robert Baker (authentique disciple de la star).
Pour autant, l’approche bien différente du metteur en scène et de sa star aboutit à d’importants conflits entre les deux hommes. Et si The Big Boss était 75 % Lo / 25% Lee, Fist of Fury est davantage une (difficile) collaboration équilibrée. |