Le développement des co-productions Chine/Hong Kong et l’ouverture graduelle du marché Chinois a abouti a une résurgence des films d’action en costumes. Le phénomène est lié aussi bien à des raisons commerciales (le succès du Tigre et Dragon d’Ang Lee) qu’objectives (la censure Chinoise est bien plus coulante avec les œuvres situés dans le passé). Si le fer de lance de cette tendance est le Wu Xia Pian, le film de Kung Fu n’a pas tardé à suivre. Malheureusement, même avec une censure moins regardante, les impératifs liés au marché Chinois tendent à tirer les efforts vers le bas.
C’est ainsi visible avec le Bodyguards and Assassins de Teddy Chen, présenté dans la section Hong Kong Panorama du festival. Grand gagnant des Hong Kong Awards et du HAF, le film était un projet couvé de longue date par le réalisateur de Purple Storm et Twenty Something. Et en l’absence de ces accords de co-productions et d’un marché Chinois plus mûr, il n’est pas sur que le projet aurait pu se concrétiser. Décrit par son auteur comme le « Titanic Chinois », le film cherche à mélanger événements historiques, personnages en trois dimensions et action trépidante. Les ambitions sont séduisantes mais que très partiellement atteintes. Les raisons sont multiples : difficulté à gérer les multiples égos impliqués (casting de nombreuses stars oblige), scènes d’action décevantes, libertés historiques parfois discutables… Discutable également le choix de reconstituer le Hong Kong de 1906 du côté de Shanghai. On comprend bien l’intérêt financier de la manœuvre et l’illusion n’est pas mauvaise, tout spécialement dans les plans larges. Mais ce que l’on gagne en visuel, on le perd en énergie. Hong Kong est une ville qui a toujours dégagé une énergie impressionnante, même au début du 20ème sciècle. C’est cette énergie que l’on retrouve dans son cinéma et qui a fondé une bonne partie de son succès à l’international. L’implication de nombreux techniciens et acteurs de Chine Continentale affectent forcément le tempo de la production, surtout dans le cadre d’un long métrage de cette envergure. Une reconstitution sur place, ne serait-ce que partielle, n’aurait peut-être pas eu un tel cachet visuel mais aurait permis de capter davantage l’énergie si propre à l’ancienne colonie Britannique. Bonus non négligeable, cela aurait également permis d’obtenir un visuel un poil moins lisse.
Plus problématique, le besoin de Teddy Chen de mélanger nationalisme et mélodrame. Le sacrifice héroïque pour la nation est sublimé jusqu’au dégoût. Promouvoir l’union, la passion pour des idées progressistes n’est certainement pas une mauvaise chose. Mais la méthode grossière utilisée et les idées latentes qu’elles sous-tendent (racisme, complexe de supériorité, agenda politique du gouvernement en place…) font par trop penser aux œuvres propagandistes d’une autre époque. Une approche d’autant plus regrettable qu’elle va a l’encontre de la réalité du contexte (pseudo) historique de l’histoire. Et pourtant, Chen semblait avoir opté pour une position plus nuancée en la matière. Le film s’ouvre ainsi sur un discours vantant les mérites de la démocratie. Quelques minutes qui auraient pu facilement sauter sous les ciseaux de la censure et qui sont à mettre au crédit de l’homme. Hélas, ces petites touches de « rébellion » par rapport au discours officiel de la RPC sont noyées sous la guimauve nationaliste omniprésente. Un film consacré à la protection de Sun Yat-Sen (père fondateur de la Chine moderne) eut pourtant été bien avisé de protéger davantage ces idées, dans toute leur complexité et universalité, et pas juste se contenter de vanter son patriotisme.
On retrouve cette tendance de fond dans beaucoup des dernières co-productions en costume. Est-ce par volonté de se mettre la censure dans la poche ? Parce que le public de Chine Continentale apprécie ces idées ? Une véritable conversion des réalisateurs hongkongais aux idéaux promus par la Chine Continentale ? Quelle que soit la raison, cela ne donne que rarement un bon résultat artistique à l’écran.
On trouve le même type de problèmes dans Ip Man 2 de Wilson Yip, bien que de manière un peu atténuée. Suite du gros succès de l’année 2008, le deuxième chapitre de la saga consacré à Ip Man, le maître du Wing Chun voit le personnage désormais installé à Hong Kong. Là, il doit affronter des maîtres de Kung Fu hostiles à sa présence puis, pire encore, des anglais corrompus et arrogants.
Le premier film, avec ses personnages de Japonais cruels et ses appels à une Sinitude conquérante, n’était pas sans rappeler le Fist of Fury de Lo Wei. Soit un retour thématique de 35 ans dans le passé… Ip Man 2 apporte une petite évolution. L’entrée en scène des personnages britanniques, en ligne de mire un officier de police corrompu et un champion de boxe anglaise arrogant, fait faire un bond thématique de 10 ans. Ce n’est plus dans l’univers du film de Kung Fu des années 70 que l’on navigue mais dans celui des séries B des années 80 où les gweilos sont les grands méchants à abattre. On retrouve d’ailleurs des thèmes et situations très proche de la réalisation de Jet Li et Tsui Siu Ming Born To Defend, soit une production non pas hongkongaise mais chinoise… Intéressante coïncidence.
Le patriotisme (nationalisme ?) a donc a nouveau la vedette.
Les dissensions martiales qui agitent le Hong Kong du film sont un bon moyen de symboliser celles qui ont longtemps déchiré le pays. C'est par une sinitude conquérante et affirmée face aux étrangers de toutes sortes que l'union pourra se faire. Le message manque assurément de finesse et de subtilité mais peut toujours être interprété dans un sens positif. D’autant plus que la manière dont sont décrits les occidentaux n’est guère différente d’il y a 20 ans et qu’un discours final tend à mettre un peu d’eau dans le vin nationaliste. Ip Man 2 souffre surtout de son contexte de production où films d’arts martiaux doit nécessairement rimer avec un nationalisme proche des messages officiels du gouvernement de la RPC. Même si le film ne tombe pas dans les plus mauvais excès liés à cette tendance, on sent bien qu’elle pèse sur l’ensemble du film. Il est bien dommage que ce contexte récent conduise à un tel appauvrissement thématique du film de Kung Fu (on se demande d’ailleurs à ce titre ce que l’auteur de Bullets Over Summer et Juliet in Love a pu apporter au film tant son style est absent). C’est le prix à payer pour pouvoir se développer dans le nouveau marché Chinois.
Quoiqu’il en soit, la qualité des chorégraphies, les prestations sympathiques des acteurs (Samo impérial, Darren Shahlavi déchaîné, Donnie qui parvient à nous faire croire en la modestie du personnage) font passer la pilule.
Même souci avec True Legend, le grand retour à la réalisation du chorégraphe Yuen Woo Ping. Doté d’un séduisant casting mélangeant vétérans (Chiu Man Chuk, Michelle Yeoh, Leung Kar Yan, Gordon Liu) et jeunes acteurs dans le vent (Zhou Xun et Jay Chou), le film se concentre sur la jeunesse d’un personnage bien connu des amateurs de films de Kung Fu, le fameux mendiant So Hat Yee (Beggar So). Fleurant bon le old school, True Legend souffre malheureusement d’un « Oncle 8 » [Yuen, ndlr] un peu rouillé en tant que metteur en scène et de chorégraphies justes correctes. Le plus agaçant vient du manque de confiance de Yuen dans son matériau et sa maladroite tentative de s’inscrire dans le cadre des nouveaux standards en la matière. En plus de sa classique histoire de Kung Fu typée année 70, True Legend se voit donc adjoindre un segment final sans guère de rapports où l’esprit martial Chinois a l’occasion d’affirmer sa supériorité face aux méchants Gweilos. Un peu de nationalisme facile, mal greffé au reste, évoquant une sorte de Fearless du pauvre et lorgnant méchamment vers le bis… On espérait mieux que cet opportunisme mal inspiré de la part du réalisateur de Legend of a Fighter.
Cette désagréable influence de la Chine Continentale ne se fait pas uniquement sentir dans le domaine de l’action en costume. Un genre aussi purement hongkongais que le Mo Lai Tau en subit également les conséquences. Ainsi, Jeff Lau après le semi échec de son Mettalic Attraction Kung Fu Cyborg a décidé de revenir à des valeurs sûres pour se garantir un succès commercial et pouvoir repartir d’un meilleur pied. Et pour cela, rien de tel que de faire une comédie non-sensique basée sur la légende du Roi Singe. Rappelons que les deux A Chinese Odyssey, Pandora’s Box et Cinderella, réalisés par Jeff Lau sont considérés par beaucoup en Chine Continentale comme des films cultes, bien plus que par le public de Hong Kong.
Just Another Pandora's Box est donc une sorte de spin off de ces films de 1995 utilisant la fameuse boîte de Pandore comme fil rouge. Le long métrage est construit comme une parodie de Romance of the Three Kingdoms, le Red Cliff de John Woo en tête. Le fait de revenir à des ambitions moindres comparées aux précédents films de Lau bénéficie à Just Another Pandora Box qui se montre totalement décomplexé. Ainsi, la première demi-heure propose une avalanche de gags, tous plus absurdes les uns que les autres, à un rythme proprement hystérique. Tenir une heure et demie à une telle allure étant strictement impossible, le film finit par revenir à un tempo plus posé. Particulièrement impressionnant est le casting regroupant une large quantité d’acteurs de tous les horizons. Et c’est là que le bat blesse… Une partie de la distribution est constituée d’acteurs de Chine Continentale. Or, ceux-ci ne sont manifestement pas à l’aise dans ce registre délirant si typique de Hong Kong. Malgré leurs efforts, leurs attitudes manquent de spontanéité et de naturel, compromettant l’impact comique de nombreux gags. A contrario, Ronald Cheng, dont le film est une évidente tentative de placement auprès du public Chinois, s’en sort plutôt bien dans un registre quasi indissociable de Stephen Chow. |