En ressemblant au plus près à la réalité, l'image photographique ou cinéma-tographique peut donner l'impression d'être en mesure d'en rendre compte. L'œil d'un objectif est-il le moyen ultime pour embrasser le réel ? Bien des réalisateurs ont mis en garde le spectateur contre les limites de l'image. Traditionnellement les cinéastes montrent le caractère illusoire du cinéma. Le cadre est le choix d'un metteur en scène, le montage permet toutes les manipulations. Dans Butterfly Murders, Tsui Hark ne s'était pas privé pour abonder dans ce sens. Avec The Blade, il constate une nouvelle fois l'échec de la mise en image de la réalité au cinéma. Mais cette fois-ci, il le fait dans des termes radicalement différents.
Pour beaucoup la manière de filmer de The Blade relève du reportage de guerre. Cette expression est très ambiguë car elle pourrait laisser penser que Tsui Hark aurait choisi la voie de l'hyperréalisme, l'expression renvoyant à un aspect documentaire. Or la caméra se comporte avant tout comme l'œil d'un témoin au cœur d'événements qui la dépassent. En recourant à une caméra épaule, l'image ne parvient jamais à se stabiliser. Souvent elle paraît mal placée pour rendre compte de l'action et le cadre est régulièrement entravé par les éléments du décor. Tous ces procédés donnent l'impression que la caméra ne parvient pas à maîtriser son sujet, incapable d'embrasser une réalité trop vaste, trop riche, trop rapide dans l'instant où elle se déroule. Si le film donne une impression de réalisme, c'est un réalisme tout relatif car il ne parvient jamais à s'imposer comme un référent objectif. Jusqu'au combat final, l'image restera instable.
L'instant présent demeure en grande partie insaisissable. Mais qu'en est-il du passé ? Est-il possible de faire la part des choses pour rétablir les faits ? Par deux fois des événements passés sont mis en image. Le premier concerne la mort du père de Dig On que nous raconte la jeune fille puis le maître, le deuxième constitue un rapide résumé du reste de la vie de la jeune fille et de ses relations avec ses deux « amoureux ». Et comme nous l'avons vu précédemment, à chaque fois les mots sont soutenus par des images qui ne vont pas dans le sens d'un réalisme. Elles instaurent une vision idéalisée, ou tout au moins transformée par rapport à ce qui a dû se passer et dont nous n'aurons jamais de représentation exacte. Si elle dénonce les limites du langage, l'image ne rétablit pas non plus la vérité. Ainsi dans le cas de la mort du père de Dig On, Tsui Hark montre que l'image de cinéma est avant tout le fruit d'une chorégraphie, c'est à dire d'une mise en scène et non pas un simple miroir de la réalité. Comme le langage, l'image construit une représentation du monde, représentation nécessairement imparfaite et limitée en raison d'un outil incapable d'offrir un point de vue objectif et absolu.
Que ce soit le présent insaisissable ou le passé, sujet à tous les risques de distorsion, l'image n'est donc pas en mesure d'assurer un point de vue définitif sur le monde. Au mieux elle en offre une vision partielle, au pire elle crée une représentation illusoire et faussée de ce qui s'est passé. Dans ce contexte le récit final de la jeune fille peut s'interpréter comme la mise en scène du regard idéalisé que porteront les artistes sur les sabreurs. Dig On et Tête d'acier sont devenus aux yeux de la jeune fille des hommes toujours jeunes et beaux. Ils sont héroïques et vêtus de blanc. Tsui Hark s'amuse à imaginer le point de départ du genre, un genre fait de mythes et de légendes…
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