Bien que The House of 72 Tenants ait été à l'origine situé à Shanghai lors de sa représentation en 1945, l'adaptation cantonaise et les emprunts que Chow en a fait pour Kung Fu Hustle, la place absolument dans une tradition d'humour populaire caractéristique du Delta de la Rivière des Perles. La version présentée au HKIFF était co-produite par le Pearl River Studio de RPC et le studio « progressiste » / « de gauche » hongkongais Sun Luen. L'histoire a été maintes fois réalisée, notamment par la Shaw Brothers en 1973
version très populaire mise en scène par Chor Yuenen association avec la TVB, version qui a très certainement inspiré Chow. A l'image de Chow, né à Shanghai en 1963, The House Of 72 Tenants, présente un mélange entre la culture populaire cinématographique de Hong Kong et celle de Shanghai définissant le cinéma commercial chinois dans sa globalité. Le genre cinématographique du film d' « immeuble » remonte à l'âge d'or du cinéma de Shanghai, avant la Guerre du Pacifique avec le Japon. Des films comme Street Angel (1937), par exemple, présentent des récits pêle-mêle et épisodiques de la vie de personnes rassemblées sous le même toit. Comédie et mélodrame s'y mélangent avec chansons et sketches vaudevillesques pour présenter une image de la vie urbaine allant des avides propriétaires de taudis aux marchands ambulants et prostituées. En général, ces films avaient un message politique progressiste appelant à l'unité des défavorisés comme moyen d'arracher le pouvoir des mains des propriétaires, des policiers corrompus et des triades. Ceux produits après 1949 en RPC pointaient la corruption de l'ancienne société et célébraient le triomphe des travailleurs sur les riches.
L'immeuble que Chow représente dans
Crazy Kung Fu (Kung Fu Hustle),
ainsi que ses habitants comme la propriétaire cupide, son libidineux époux ainsi et les nombreux pauvres gens vivant sous leur toit décrépi, sortent tout droit de The House Of 72 Tenants. Toutefois, dans Kung Fu Hustle, les modestes locataires de l'immeuble, qui ne peuvent compter que sur leur humour pour tenir tête aux propriétaires, sont transformés par Chow en Maîtres du kung fu. Propriétaires et locataires exécutent alors des prouesses martiales remarquables et insoupçonnées au vu de leur physique, améliorées par l'utilisation de l'imagerie de synthèse. Ici, Wong Fei-hong, et Kung Fu Hustle de Chow prend une direction différente par rapport à l'oeuvre originale en ajoutant les arts martiaux à la comédie urbaine.
The House of 72 Tenants (1973)
The House of 72 Tenants, The Story of Wong Fei-hung: Part I, et Kung Fu Hustle affichent tous un sens manifeste de l'architecture ainsi que de la manière dont les bâtiments définissent l'espace, les relations spatiales, et cernent les contours de l'intrigue en plaçant les personnages dans une proximité spéciale, confinés les uns avec les autres. Le film s'approprie les normes architecturales et les transforme en scènes faisant partie d'une mise en scène qui détermine un espace théâtral, une hiérarchie des personnages et leurs relations. Dans l'architecture chinoise de la fin des Qing ainsi que dans l'architecture coloniale de la même période, la boutique obéit à un standard. Les propriétaires vivaient au-dessus de leur magasin, au second étage qui avait une avancée ou un balcon formant un passage couvert sous lequel les promeneurs pouvaient passer et faire leurs achats en se protégeant en cas de mauvais temps. Alors qu'en haut l'appartement bénéficiait de la lumière du soleil. Les rues bordant ces établissements étaient souvent sombres et étroites –des ruelles entourées de groupes de magasins, maisons et autres bâtiments. L'espace vital urbain comprenait aussi des bâtiments avec cour intérieure – demeures de familles riches qui suite à des périodes difficiles les avaient transformées – composés d'un groupement de logements empilés sur plusieurs niveaux autour d'une cour centrale.
En ce qui concerne House Of 72 Tenants et Kung Fu Hustle, les escaliers centraux qui font le lien entre les différents étages sont pratiquement identiques. L'escalier fait à la fois office de plate-forme et de scène pour les personnages et fournit une structure hiérarchique qui peut changer au gré des révélations de l'intrigue. Dans ces deux films, la hiérarchie en place dans l'immeuble est présentée au moment où les locataires se réunissent le matin autour du seul robinet d'eau. La formidable propriétaire, jouée par Yuen Qiu dans Kung Fu Hustle et Tan Yu Zhen dans House Of 72 Tenants –une brosse à dents dans la bouche dans 72 tenants et une cigarette aux lèvres dans Kung Fu Hustle – toisant ses locataires mécontents et sales tout en se plaignant de leur usage excessif d'eau puis menaçant de les rationner strictement. Provocateurs, ils lèvent le regard sur elle en défiant son autorité.
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