HKCinemagic : Vous avez évoqué Center Stage. Le rôle de Ruan Ling Yu devait être tenu par Anita Mui. Pourquoi n'a t-elle pas fait le film finalement ? |
S K : C'est en effet Maggie Cheung qui a incarné Ruan Lingyudans ce film. Je venais de finir Rouge(1988) avec Anita Mui et je rêvais de retravailler avec elle. Le hasard a fait que j'ai pu assister, à cette époque, à un hommage rendu par les Archives du Film de Hong Kong à Ruan Ling Yu . L'idée m'est alors venu de faire un film avec Anita Mui sur la vie de Ruan Ling Yu. Je voulais créer une sorte de « jeu de miroirs » entre les destins de ces deux actrices. Anita Mui était très intéressée par ce projet. Hélas ! Pendant les préparatifs du film il y a eu les événements du « Printemps de Pékin ». Anita était bouleversée par ce qui était arrivé aux étudiants le 4 juin 1989 sur la Place Tian An Men. Elle a sombré dans une profonde tristesse. Elle était très en colère contre les autorités chinoises de l'époque. Elle a alors déclaré qu'elle n'irait plus jamais travailler en Chine. Or le sujet, les décors et nombre de comédiens de Center Stage étaient à Shanghai… Finalement, Anita Mui a renoncé à ce projet. |
Anita Mui dans Rouge
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HKCinemagic : Quels souvenirs gardez-vous d' Anita Mui et de Leslie Cheung ? |
S K : En 2001-2002, j'avais un projet de film avec eux. Je voulais les retrouver et qu'ensemble nous fassions un film-miroir sur nos trois vies. Une sorte de retrouvailles bien des années après Rouge . Le projet n'avait pas pu se monter car le scénario n'était pas prêt et le budget était sans doute trop élevé.
Pour moi, Anita Mui était la meilleure actrice avec qui j'ai travaillé. C'était la comédienne qui disposait de la plus large palette d'émotions, d'expressions. C'était quelqu'un de très affectif.
Leslie Cheungétait vraiment parfait dans Rouge . C'était un très grand artiste. Mais c'était aussi quelqu'un qui accordait une très grande importance à son image. Il se contrôlait beaucoup. Il était très exigeant envers lui-même. Il était peut-être trop conscient de son talent. S'il avait pu « s'oublier » un peu, il aurait eu un destin moins tragique. Je pense que la maladie qu'il a eue à la fin de sa vie était liée à cette trop grande exigence vis-à-vis de lui-même ; il avait sans doute fixé la barre trop haute… |
Leslie Cheung et Anita Mui dans Rouge
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HKCinemagic : On dirait que dans le documentaire Yang+/-Ying tourné en 1996, vous avez voulu pousser Leslie Cheung à faire son « coming out ». |
S K : La vérité, c'est que Leslie Cheung n'avait jamais avoué publiquement qu'il était homosexuel. Il avait une position ambiguë sur ce sujet : il disait que si on le considérait comme un homosexuel, alors il l'était, que cette idée ne le gênait pas… |
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HKCinemagic : Si vous aviez le choix de remonter ce documentaire, que feriez-vous ? |
S K : Ce documentaire était une commande de la British Film Institute dans le cadre de la célébration des 100 ans du cinéma. On m'a proposé de tourner un sujet sur l'histoire du cinéma de Hong Kong avec un point de vue personnel. J'ai alors décidé de parler de l'homosexualité dans le cinéma chinois. Ce documentaire a été diffusé à la télévision à Hong Kong et ailleurs. Il a aussi été beaucoup montré dans les festivals de cinéma. Il a presque 10 ans. Il est comme il est. Je ne suis pas de ces cinéastes qui remontent leurs films bien des années après leur sortie. C'est aux spectateurs de juger le film désormais. |
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HKCinemagic : A t-il été facile de convaincre les comédiens non homosexuels de jouer un couple gay dans Lan Yu ? |
S K : Au risque de vous étonner : Liu Ye et Hu Jun, le couple de comédiens chinois de ce film, ont tout de suite accepté lorsque je leur ai proposé le projet. Ils appréciaient mon travail de cinéaste, et ils connaissaient aussi la valeur des gens qui étaient associés à ce projet : Jimmy Ngai au scénario, William Chang [un collaborateur essentiel des films de Wong Kar Wai– ndlr.] à la direction artistique et au montage, etc. Le budget du film était très petit, mais tout le monde y croyait. Les acteurs étaient très professionnels et le tournage s'est très bien passé. Le film est l'adaptation d'un roman homosexuel paru sur le Net [Beijing Story , écrit par un certain Beijing Comrade – le terme « camarade » est aujourd'hui synonyme de « gay » en Chine ou à Hong Kong – ndlr.]. En réalité, le livre était rempli de passages pornographiques. Jimmy et moi avons dès le départ décidé d'ignorer cet aspect du roman pour nous intéresser au récit, au cheminement des personnages. |
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HKCinemagic : Comme dans Rouge, cette passion dans Lan Yu était au départ inscrite dans un rapport « marchand » : une liaison entre un fils de bonne famille et une prostituée dans l'un, une liaison entre un prostitué et un homme d'affaires dans l'autre. C'est une histoire qu'on pressent sans issue… |
S K : L'amour peut apparaître dans n'importe quelle circonstance. Mais ce n'est pas parce qu'il y a une question d'argent entre eux que leur histoire serait moins pure. On ne peut pas non plus faire l'impasse sur des problèmes matériels dans une vie de couple. Mais je n'ai pas pensé que la fin tragique de leur liaison avait pour origine un problème d'argent. |