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You Shoot, I Shoot (2001) |
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Une des premières scènes de You Shoot, I Shoot (qu’on pourrait traduire, en essayant de conserver un jeu de mots, par « Tu mets en boîte, je mets en boîte ») nous présente un homme (Eric Kot) habillé d’une robe de chambre brillante à col en fourrure synthétique rouge, se faisant vernir les ongles par sa femme (Audrey Fang). Cette charmante épouse lui conseille de démarcher de nouveaux clients par téléphone, le marché n’étant plus ce qu’il était… Plan suivant, le mari, un Ericofon en main (vous savez, ce téléphone en forme de cobra très en vogue dans les années 60 avec le cadran de numérotation dans le socle), appelle au hasard des particuliers pour leur proposer ses services… de tueur à gages ! (Clin d’œil aux débuts professionnels d’Eric Kot qui faisait le malin au téléphone à la télévision.) Le ton général est clairement affiché : You Shoot, I Shoot sera une comédie d’humour noir, une farce prenant pour cible les films de triades.
Bart (Eric Kot) est un tueur à gages qui voit le marché se réduire et la concurrence s’affermir. Une cliente, Madame Ma (Miu Fei Lam), lui demande un jour de filmer le meurtre de son amant pour se délecter de la scène. Las, le résultat est pitoyable : flous, saccades, hors champs… Elle lui donne une nouvelle chance et lui conseille de ne pas la rater, l’enjeu étant une grosse partie du marché des contrats. Chuen (Cheung Tat Ming) est un jeune homme revenu de ses études de cinéma aux Etats-Unis, se rêvant d’être l’égal de Martin Scorsese, mais ne trouvant que des emplois subalternes sur le tournage de Catégories 3 érotiques. Presque à la rue, se faisant malgré lui payer en haschich plutôt qu’en monnaie sonnante et trébuchante par un producteur fourbe, il est contraint de vendre la drogue dans les bars pour survivre. Les deux homme vont se rencontrer (plutôt violemment, avec un Chuen prêt à faire une fellation à Bart pour avoir la paix…) et s’associer. Bien évidemment, le pauvre apprenti réalisateur ne sait pas qu’il va devoir filmer de vrais meurtres et met tout son cœur à l’ouvrage. S’ensuivent des scènes comiques provoquées par le tournage en lui-même puis par la révélation de la réalité de l’assassinat. Une fois la pilule avalée, Chuen va consacrer des heures au montage du film, rajoutant effets de style, sonorisation, générique (et même un rappel sur l’interdiction d’en faire des copies pirates !), provoquant l’enthousiasme débordant du groupe de femmes invité à la projection par Madame Ma. Les contrats pleuvent alors : Bart et Chuen vont perfectionner leurs techniques respectives tout en s’enrichissant.
Pour son premier essai derrière la caméra, Edmond Pang, jusqu’alors écrivain à succès (il est l’auteur du livre Fulltime Killer, adapté au cinéma par Johnnie To), se paye le luxe de réaliser un film original et drôle, même si non exempt de défauts. Si You Shoot, I Shoot parvient à être percutant, c’est principalement dû à son esprit critique et son ton railleur. Le réalisateur et son scénariste Vincent Kok, mettent ainsi en boîte le marasme économique hongkongais (des producteurs ne pouvant payer leurs employés), l’apathie et le manque d’ambition du cinéma local (Chuen lance des piques sur l’absence de pré-production, la faiblesse des scénarios tout en filmant les meurtres !), les triades (dépeintes ici sous un jour peu reluisant) et le business des tueurs à gages (promotion, marketing, guerre des prix, etc.). Ils s’appuient sur une galerie d’acteurs délirants et forts en gueule, tout sexe confondu, avec au premier plan Eric Kot et Cheung Tat Ming qui parviennent à rester dans les limites imposées par leur personnage. On aurait pu craindre une overdose de grimaces et de tics « comiques », mais pour notre plus grand bonheur les deux vedettes demeurent maîtrisées (à défaut de sobres !). On s’amusera à reconnaître Siu Yam Yam, ancienne star de la Shaw Brothers, en belle-mère acariâtre et boudeuse, mais heureusement déridée par une fondue à l’herbe… Le film souffre cependant du syndrome de la « bonne idée », reprise à l’envie, surexploitée, phagocytant tout le scénario et finalement presque lassante… La bonne idée, ici, c’est le tournage d’une scène de meurtre comme on le fait pour un film : photographie, exposition, mouvements de caméra, tension émotionnelle, etc. Le spectateur se voit infliger ce type de séquence jusqu’à la fin de You Shoot, I Shoot, avec un climax qui n’est en fait qu’une scène de meurtre un peu plus développée (et de toute façon, bien trop longue). Certes, les saynètes sont drôles, vives et pas ennuyeuses pour un sou, mais on regrette tout de même parfois le manque d’ambition d’Edmond Pang. Autant la première partie du film est rythmée (les exigences de la « riche salope » Madame Ma, le recrutement de Chuen par Bart, le premier meurtre), autant la seconde est moins convaincante (des meurtres, des meurtres, des meurtres…) même si, je le répète, loin d’être lassante ! L’histoire d’amour entre Chuen et la jeune japonaise (Asuka Higushi), chauffeuse d’acteurs porno par ailleurs, est un peu de trop et ne fait que plomber un récit plutôt lourd vers sa conclusion. You Shoot, I Shoot fonctionne largement selon le principe des sketchs juxtaposés qui font la trame du scénario. Ainsi, de très nombreuses séquences sont comme dotées d’une vie propre et pourraient certainement être extraites du film sans perdre leur pouvoir comique : le démarchage de clients par téléphone, le repas de famille au cours duquel la belle-mère (Siu Yam Yam) demande à Bart d’éliminer une compagne de jeu de mahjong trop chanceuse tandis que le père (Kenny Kung) vient discrètement le supplier d’assassiner cette gênante épouse, le tournage d’une catégorie 3 érotique, l’hommage au Samouraï de Jean-Pierre Melville qui voit Bart discuter avec Alain Delon à travers l’affiche du film (une voix française lui répond !), Lam Suet et Tats Lau faisant de la réclame pour obtenir des contrats de meurtre (avec carte de fidélité !), un groupe de riches femmes plaçant des contrats sur la tête de leurs ennemis tout en jouant au mahjong, etc.
Malgré ses indiscutables défauts, You Shoot, I Shoot est très certainement une des plus belles réussites du cinéma hongkongais de l’année 2001, saluée par la critique mais malheureusement pour son metteur en scène boudée par le public. Au milieu des comédies romantiques niaises, véritable spécialité locale et inépuisable source de revenus de Johnnie To, You Shoot, I Shoot fait figure de bouffée d’oxygène et lance sur le devant de la scène un réalisateur avec lequel il faudra compter, Edmond Pang.
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David-Olivier Vidouze 8/16/2005 - haut |
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