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Heaven And Hell (1979) |
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On a connu Chang Cheh sadique, barbare, fétichiste, homo érotique, flamboyant, je-m’en-foutiste, fauché… mais si on n’a jamais eu l’occasion de voir Heaven And Hell, on ne connaît pas le Chang Cheh sous acide !
Le film s’ouvre sur une histoire et une esthétique qui ne sont pas sans rappeler celles de Na Cha The Great, film tourné un an auparavant, en 1974 (si Heaven And Hell est sorti en 1980, son tournage a commencé en 1975 sous l’égide de la Chang's Film ; après moult difficultés menant à l’abandon du projet, la Shaw Brothers réinvestit beaucoup d’argent dans la production et permit la reprise du tournage en 1977). Le spectateur pense alors suivre les aventures d’un couple d’amoureux (David Chiang et Maggie Lee Lam Lam) qui ne peut vivre sa passion à la cour céleste et doit fuir sous peine de recevoir 300 coups de fouet. Un « Paradis » bien peu paradisiaque… Grâce à un gardien, Xin Ling (Lee I Min), les amoureux parviennent à gagner la terre et le monde mortel. Le tournage initial s’arrêtait vraisemblablement là, tant on a le sentiment de rentrer ensuite dans un nouveau film : les personnages incarnés par David Chiang et Maggie Lee Lam Lam ne paraîtront plus à l’écran (sans doute tenus par d’autres engagements) et Lee I Min prend l’ascendant sur les autres acteurs. Le style change également alors que nous quittons le Paradis. Le pauvre gardien céleste, à son tour chassé sur terre, est réincarné en chauffeur de taxi. Toujours prompt à venir en aide aux couples en détresse (Fu Sheng et Jenny Tseng, ensemble à l’écran comme à la vie), il tue accidentellement un malfrat (Johnny Wang Lung Wei) ce qui le conduit directement en Enfer… Mais avant ce tragique dénouement, Chang Cheh aura eu le temps de nous offrir un spectacle des plus stylisés, louchant sans vergogne sur les comédies musicales hollywoodiennes des années 50 : décors minimalistes et épurés réduits à leur plus simple expression où les éclairages occupent une place essentielle, images proches des visions expressionnistes du cinéma allemand d’avant-guerre (les perspectives de certains éléments des décors sont courbes, l’intérieur d’une société est symbolisé par une secrétaire à son bureau et, au loin derrière elle, la porte d’un ascenseur), ballets de mauvais garçons, chansons en duo… La vedette de ce second segment est incontestablement Fu Sheng, brillant dans ses quelques combats et toujours aussi charismatique. Après le kitchissime Paradis et ses personnages sortis d’un péplum gay, cet opus prend le virage seventies et nous replonge dans les extravagances vestimentaires d’un Duel Of Fists ou d’un Chinatown Kid. Amis du bon goût… Après le Paradis et la terre, Chang Cheh nous conduit dans un Enfer à la croisée des images d’Epinal, des peintures de Jérôme Bosch et des visions de Dante, sorte de grotte géante aux multiples galeries qui baigne dans des lumières bleues, vertes et rouges. Les pauvres humains marchant en file indienne sont guidés par des démons (poilus et cornus !) vers leurs tourments éternels. Plus sadique que jamais, le réalisateur s’est semble-t-il amusé à inventer les pires tortures pour punir les pécheurs : les avares sont condamnés à se voir verser sur la tête des litres d’or en fusion, les buveurs à boire sans fin, les commères se font arracher la langue, les joueurs se retrouvent dans un tripot où les gagnant ont leurs doigts coupés, les bagarreurs sont dédoublés et se battent eux-mêmes éternellement, tandis que d’autres sont dépecés vivants ou jetés dans des marmites géantes… Dès son arrivée, le bon Lee I Min prend sous sa protection une jeune femme surnommée Robe Rouge (Lin Chen Chi), condamnée à l’Enfer pour s’être suicidée sous l’emprise de stupéfiants, lors d’une soirée entre amis (un jugement moral de Chang Cheh ?). Il n’aura de cesse de répéter à qui veut bien l’entendre qu’il est innocent et que sa place n’est pas parmi les méchants. Le Bouddha de la Miséricorde (Yue Wing) lui apparaît alors pour le charger de mener quatre autres âmes errantes vers la sortie. Chacune d’elle, lors d’un flash-back, racontera son histoire et le drame qui l’a mené en Enfer. Une fois cette confession achevée, les cinq beaux jeunes hommes formeront une fratrie comme les aime Chang Cheh !
Lee I Min, acteur de second ordre promu vedette à l’occasion de Heaven And Hell, va croiser durant son périple de très nombreuses stars martiales Shaw Brothers de la fin des années 70. Hormis un Bruce Tong fidèle à lui-même, Chang Cheh mobilise l’intégralité de la troupe des Venoms : Philip Kwok, Lu Feng (dans deux rôles), Lo Meng, Chiang Sheng et Sun Chien. Le film est l’occasion de les voir une nouvelle fois s’affronter entre eux (belle rencontre entre Lu Feng et Philip Kwok) ou s’unir contre un ennemi commun. Avec Lee I Min et Bruce Tong, ils offrent aux spectateurs un combat final d’une trentaine de minutes dans le style si particulier qui a fait leur gloire et qui réjouira les amateurs d’arts martiaux. Les chorégraphies de Leung Ting, Lu Feng et Robert Tai mélangent avec bonheur prouesses physiques, armes originales, blessures sanglantes et torses nus (avec Sun Chien, le seul artiste martial asiatique aux poils sur la poitrine !).
Si Heaven And Hell était tourné aujourd’hui, nul doute qu’il serait pris pour une relecture à la mode Austin Powers d’un mythe proche de celui d’Orphée (et il aurait sûrement du succès !). Avec plus d’une heure dans des Enfers psychédéliques aux couleurs agressives et criardes et au milieu de décors surréalistes peuplés d’êtres à la monstruosité grotesque, ce film sans continuité et bien mal construit reste étonnamment plaisant, à défaut d’être réussi. Un ovni dans la carrière de Chang Cheh.
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David-Olivier Vidouze 9/28/2005 - haut |
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