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The Crossing (2014) |
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The Crossing : le diptyque testament de John Woo
Gros échec au box-office chinois, le dernier film de John Woo n'a depuis suscité qu'indifférence chez nous. C'est d'autant plus injuste que le vieux maître livre sans doute l'un de ses derniers films, une œuvre somme, relecture de son parcours de cinéaste, une proposition de cinéma certes anachronique et déséquilibrée, mais foncièrement généreuse et ambitieuse.
Si le Titre The crossing désigne la traversée, d'un bateau ici en l’occurrence, il renvoie également à la notion de croisement. Croisement de destin dans une Chine en proie aux guerres civiles à la fin des années 40 et qui verra son basculement dans le communisme. Mais The Crossing est surtout le croisement entre l'amour de John Woo pour le cinéma classique hollywoodien et son œuvre phare : Une balle dans la tête. Film maudit, gros échec au box office, resserré à moins de 2h sous la pression des distributeurs, Une balle dans la tête voyait 3 amis plonger dans une spirale infernale de violence, de désillusions et de destins brisés. Le diptyque The Crossing reprend cette idée en l'élargissant à toute une société prise dans la tourmente de l'histoire qui va irrémédiablement la broyer pour la recomposer. Mais si Une balle dans la tête s'ancrait dans le polar et le film de guerre, The Crossing s'inscrit dans la fresque historique à la David Lean.
Et la première partie du film réussit plutôt bien ce programme. En convoquant toutes ces grandes figures stylistiques et thématiques (les scènes de combats montées par David Wu, une scène de danse, les colombes au ralenti), John Woo plonge 3 couples dans les affres de la guerre civile. Batailles, victoire, défaite, illusions, séparations, survie, fuite… La première partie mêle intelligemment grande et petite histoire en jouant comme sait si bien le faire le réalisateur sur un sentimentalisme très fleur bleue et une violence très crue. Après une fin très forte de la première partie (que l'on ne dévoile pas pour ceux qui n'ont pas vu le film), la deuxième partie est sortie 7 mois plus tard. Et malheureusement, les 2 nouvelles heures viennent mettre en péril la cohérence de l'édifice. John Woo se sent en effet obligé de consacrer sa première demie-heure à la réintroduction de tous les personnages en mêlant des images de la première partie avec de nouvelles. Le dispositif fonctionne mal. C'est bien trop elliptique pour un spectateur qui n'aurait pas vu la première partie et bien trop longuet pour celui qui en a la connaissance. Puis le récit reprend la spirale infernale. Sauf que la belle mécanique s'enraille. D'abord parce que les drames personnels deviennent le centre d'intérêt du réalisateur qui passe une grande partie de son temps à filmer les larmes de ses protagonistes. La spirale se mue alors en surenchère de mauvaises nouvelles, de souffrances et d'horreurs. Le naufrage, promesse initiale du film, n'est finalement qu’anecdotique. Un malheur de plus dans des destins déjà tellement brisés… Son seul intérêt réside alors dans ce jusqu'au boutisme avec lequel John Woo dépeint l'horreur de la condition humaine. Enfant enfermé dans le bateau en train de couler et qui crie derrière le hublot à l'aide, adultes qui se noient en arrachant les gilets de sauvetage aux plus faibles…
De fait cette deuxième partie empêche au diptyque d'atteindre le statut de chef d’œuvre. Mais elle permet de mettre en lumière la démarche du réalisateur. Oser un cinéma extrême qui pousse les curseurs de la violence, de la cruauté, du romantisme et de la mélancolie au point de mettre en péril l'équilibre de son récit. Si Une balle dans la tête avait bénéficié de son montage initial, ne serait-il pas tombé dans ce même travers d'un baroque poussé jusqu'à l'écroulement de sa structure ? The Crossing nous montre à quel point le cinéma de John Woo est un cinéma de funambule en déséquilibre permanent qui n'hésite pas à risquer la chute.
The Crossing est une œuvre somme, représentative de ce que John Woo fait de mieux, de sa rage, de ses errances jusqu'au-boutistes. On pourra bien sûr préférer un cinéma plus sage et plus équilibré. Mais ce serait nier le fondement même du cinéma chinois, et hongkongais en particulier, ce goût pour l'excès, ce refus de l'équilibre et du classique. Et de ce point de vue, The Crossing, parce qu'il incarne cette proposition de cinéma est un testament précieux.
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Laurent Henry 2/8/2016 - haut |
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