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Les Griffes de Jade (1971) |
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Lorsqu’un réalisateur, classé dans la catégorie des hommes à tout faire un peu commerciaux, et qui plus est flirtant avec le cinéma de genre, se surpasse, il n’est pas rare qu’il livre un réel chef-d’œuvre, original et maîtrisé. C’est le cas de Ho Meng Hua, metteur en scène de petits classiques féeriques (la série des Monkey Goes West), d’horreur (Black Magic), du film noir (Kiss Of Death), du bis délirant (The Mighty Peking Man ou le débile Oily Maniac) et du wu xia-pian (The Flying Guillotine). Lady Hermit est et restera son œuvre la plus achevée, savoureux mélange de films classiques et de cinéma de genre. Aux premiers il empruntera le récit et les personnages, tandis qu’il reprendra du second des plans très « modernes » (prises de vue de travers, plans subjectifs avec en accroche les deux mains du méchant…), un traitement grandiloquent de la violence (les têtes, bras et épaules volent pendant que les corps sont transpercés de part en part) et un montage parfois épileptique.
Lady Hermit est une œuvre curieuse qui met en relation trois personnages liés par des sentiments amoureux, deux femmes épéistes (Cheng Pei Pei et Shih Szu) et un serviteur homme (Lo Lieh). Ce triangle ne doit pas seulement sa raison d’être à l’amour, mais aussi à l’apprentissage des arts martiaux : Lady Hermit est le sifu de Cui Ping qui est le sifu de Chang Chun. Tous ont pour objectif de se débarrasser de Black Evil (Wong Hap), usurpateur et autoproclamé « roi du monde des arts martiaux ». Lorsque le film débute, Lady Hermit s’est retirée du monde et travaille comme servante dans une taverne. Elle soigne une grave blessure contractée suite à un duel avec son ennemi juré et ne semble pas prête à reprendre les armes. Si elle intervient pour aider Cui Ping à défendre un villageois attaqué par des pillards, elle le fait en cachette, sans révéler son identité. Chung Chan l’aime en secret et n’ose pas déclarer sa flamme si ce n’est qu’avec de larges sourires qu’elle fait semblant de ne pas comprendre. L’arrivée de Cui Ping dans ce petit monde va permettre à Lady Hermit de prendre conscience de sa situation : elle ne pourra jamais reprendre une vie normale, passer à autre chose (c’est-à-dire répondre aux timides avances de Chung Chan), si elle ne s’est pas préalablement débarrassée de Black Evil. La toute jeune femme va donc jouer le rôle d’événement déclencheur pour la seconde partie du récit. Tout trois réunis, ils vont se préparer à affronter le mal. Ho Meng Hua a eu l’intelligence de ne pas se limiter à une simple histoire d’élève désirant venger son maître après que celui-ci lui ait appris ses secrets. En ajoutant des éléments « humains » (l’amour et les sentiments de jalousie, de colère et de haine qui peuvent en découler), en féminisant les sifus et en ajoutant un troisième personnage (l’homme, en définitive le plus faible du trio), il a énormément complexifié mais aussi enrichi le récit. Bien rares sont les films d’arts martiaux qui bénéficient d’un tel scénario.
Ho Meng Hua se surpasse et nous offre un film d’une richesse incroyable. Richesse des décors tout d’abord : c’est un vrai festival qui privilégie les magnifiques extérieurs. Forêts de bambous dans lesquels les épéistes se battent, pont suspendu qui se rompt sous les pieds des combattants qui poursuivent leurs assauts, magnifique tour servant de refuge au méchant, superbes demeures et non moins superbes jardins, joutes martiales dans les herbes hautes, etc. Rarement un film de la Shaw Brothers n’aura bénéficié d’un tel traitement ! (Il se rapproche énormément sur ce point de New One-Armed Swordsman, tourné la même année.) Richesse de la mise en scène, ensuite : en bon artisan du cinéma populaire, Ho Meng Hua s’est essayé à tous les genres. Il a ainsi acquis une solide expérience cinématographique et, fort de cet atout, en a tiré profit pour nous offrir une réalisation visuellement excitante et terriblement moderne. Après avoir vu quelques scènes de combat de Lady Hermit, on trouve tous les Tarantino de la terre bien palots… La séquence finale, de son ouverture lorsque Cui Ping escalade la tour, à sa conclusion dans un véritable bain de sang, est à ce titre époustouflante. Richesse des acteurs : on a souvent dit que ce film avait été l’occasion, pour la Shaw Brothers, de lancer une nouvelle star, la toute jeune Shih Szu, Lo Lieh et Cheng Pei Pei étant d’ores et déjà des vedettes confirmées, voire sur le déclin. Ce serait un peu réducteur tant la belle Shih Szu, encore dotée d’un visage poupin et joufflu qu’elle perdra bien vite, est hallucinante et digne des plus grandes actrices martiales. Agée de 16 ans lors du tournage, elle peut déjà prétendre au statut d’étoile de l’écurie Shaw Brothers tant sa grâce et son jeu d’acteur sont impressionnants. Ne laissons pas pour autant les « vétérans » de côté : Cheng Pei Pei est magnifique et très charismatique dans son rôle d’épéiste blessée et tourmentée par la vengeance (seul obstacle à son amour pour Chang Chun) ; Lo Lieh, quant à lui, est impeccable en serviteur devenu artiste martial par sentiment. Tous les personnages principaux ont un vécu, une réelle dimension dramatique. De plus, on voit clairement leur personnalité évoluer tout au long du film en fonction de la tournure des événements et des renoncements qu’ils s’infligent face à la cruauté de la vie. Les combats sont nombreux et leur chorégraphie orchestrée de main de maître. Hoh Meng Hua n’hésite pas à faire monter l’adrénaline en ponctuant ces séquences de plans à la limite du gore. Comme chez Chang Cheh, le sang jaillit des poitrines, les épées transpercent les chevaliers (voir la scène au cours de laquelle Lady Hermit embroche un méchant caché sur le toit de l’auberge !), les têtes roulent sur le sol pendant que les bras y tombent… Sabres, lances, poignards, tout est mis à la disposition des guerriers.
Le personnage de Lady Hermit, avec son costume si particulier et ses apparitions très théâtrales, pourraient faire penser à celui de Golden Swallow, dans le film éponyme de Chang Cheh. Mais là où le vénérable metteur en scène échouait à élever son héroïne au rang du mythe (toute son attention était portée sur Jimmy Wang Yu…), Hoh Meng Hua réussit à la placer dans le panthéon des figures classiques du cinéma hongkongais. Les multiples plans de Cheng Pei Pei en costume blanc, chapeau aux larges bords et voile sur le visage, sont prodigieux tant l’actrice est belle et son aura présente à l’écran. Qu’elle apparaisse sur un plafond, en haut d’une muraille ou devant un pont détruit, le spectateur a conscience qu’il est devant quelque chose de plus grand que nature !
Bénéficiant d’énormes moyens financiers et humains, Ho Meng Hua nous livre avec Lady Hermit, non seulement son meilleur film, mais aussi une des plus belles œuvres de la Shaw Brothers. Il est vraiment dommage qu’il n’ait pas poursuivi dans cette voie, même s’il réalisera quelques années plus tard d’autres films notables.
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David-Olivier Vidouze 1/18/2005 - haut |
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